Le resserrement des règles sur les séjours à l'étranger touche très majoritairement des citoyens nés à l'extérieur du Canada, révèlent des données obtenues par La Presse.

Le gouvernement Couillard a grossièrement sous-estimé l'impact d'un changement apporté dans la réforme de l'aide sociale l'an dernier. En réduisant la possibilité de s'absenter du Québec, la réforme du ministre François Blais touche quatre fois plus de bénéficiaires que prévu. Deuxième surprise, les bénéficiaires ainsi éliminés du programme sont très majoritairement nés à l'étranger.

C'est ce qui ressort des chiffres du ministère du Travail, de l'Emploi et de la Solidarité sociale obtenus en vertu de la Loi sur l'accès à l'information gouvernementale. Politiquement, la mesure se voulait populaire - l'idée qu'un bénéficiaire de l'aide sociale puisse partir dans le Sud en hiver fait grincer des dents une partie de la population. Mais au-delà des clichés, le coup de barre donné par Québec peut poser des problèmes à bien des bénéficiaires qui, légitimement, doivent quitter le Québec momentanément, fait valoir le Collectif pour un Québec sans pauvreté.

« Le gouvernement a prévu des exceptions, et il est toujours possible de s'absenter temporairement du Québec. Toutefois, il est important de rappeler qu'il s'agit d'une aide de dernier recours qui s'adresse aux résidants du Québec », dit Stéphane Gosselin, porte-parole du ministre François Blais.

En regardant de plus près cette statistique, les fonctionnaires ont fait un autre constat. Du contingent de personnes devenues inadmissibles à l'aide sociale, l'immense majorité, soit 86 %, est composée de citoyens nés à l'extérieur du Canada.

Lors de la défense du train de mesures mis de l'avant en 2015, le gouvernement plaidait qu'en éjectant de l'aide sociale les bénéficiaires qui s'absenteraient du Québec plus de 15 jours consécutifs, on pouvait prévoir que 460 personnes seraient touchées annuellement. Les économies escomptées étaient de 1,8 million.

Or, selon les chiffres divulgués par le Ministère, c'est plus de 2000 personnes - 2145 précisément - qui ont été jugées inadmissibles à l'aide sociale pour s'être absentées du Québec, entre juin 2015 et octobre 2016. Les économies devraient être majorées d'autant - et dépasser les 7 millions par année.

Depuis le 1er mai 2015, un adulte absent du Québec pour une période supérieure à 15 jours dans le même mois de calendrier ou plus de 7 jours consécutifs dans ce mois est inadmissible à l'aide financière de dernier recours. Il est à noter que cela ne touche pas les enfants à charge. Cette règle remplaçait une disposition qui remontait à décembre 2004 et qui prévoyait qu'une personne cessait de résider au Québec dès qu'elle s'en absentait pendant un mois complet de calendrier, soit pour une période s'échelonnant du premier au dernier jour de ce mois. « Il lui était donc théoriquement possible d'être admissible même si elle résidait au Québec un seul jour par mois », explique-t-on au ministère de François Blais.

Même si la région de Montréal compte en proportion beaucoup plus de bénéficiaires, la répartition des nouveaux « inadmissibles » surprend aussi. Pas moins de 1600 bénéficiaires ont perdu leur statut dans l'île de Montréal uniquement. On en a observé un peu plus de 100 dans la région de Laval, et une cinquantaine dans la région de Québec.

PÉNALISER « LES GENS LES PLUS MAL PRIS »

Pour Serge Petitclerc, du Collectif pour un Québec sans pauvreté, un groupe qui était intervenu au moment des consultations sur le projet de loi, la disparité s'explique probablement parce qu'on trouve à Montréal davantage de bénéficiaires issus de l'immigration, plus susceptibles de s'absenter du Québec. 

« Pour nous, c'était une sorte de pénalité pour des gens qui devaient rejoindre leur famille, pour des décès, par exemple », explique Serge Petitclerc, du Collectif pour un Québec sans pauvreté.

Le ministre Blais avait soutenu alors qu'on voulait empêcher des bénéficiaires d'aller travailler au noir à l'extérieur du Québec. « Or, ce n'est pas en empêchant les gens de voyager qu'on va les empêcher de travailler au noir. La mesure pénalise les gens les plus mal pris. Ceux qui se débrouillent ne préviendront pas leur agent d'aide sociale », explique-t-il. Les bénéficiaires qui sont expulsés de l'aide sociale peuvent récupérer cette assistance, mais cette mise au rancart entraîne des inconvénients importants, notamment la perte de certains « avantages » comme les médicaments gratuits. « On complique la vie de gens qui sont déjà passablement "maganés" », observe le porte-parole du Collectif.

- Avec la collaboration de William Leclerc