Les résultats d'une vaste étude sur la réinsertion des sans-abri ont suscité de nombreuses réactions jeudi, et au premier chef au sein du gouvernement du Québec, qui dit envisager la création de programmes qui s'inspireraient de l'expérience Chez soi pour le futur plan de lutte contre l'itinérance.

«On évalue plusieurs programmes qui pourraient tenir compte des résultats de Chez soi pour la suite du plan de lutte [contre] l'itinérance», dit Alexandra Bernier, l'attachée de presse de la ministre Lucie Charlebois.

Lynne Duguay, à la tête de la Direction des dépendances et de l'itinérance au ministère de la Santé, a rencontré ses vis-à-vis fédéraux et les chercheurs du programme Chez soi pour faire le point sur les résultats de la vaste étude qui s'est étalée de 2009 à 2013 à Montréal. Les résultats montrent que l'approche «logement d'abord» s'est révélée deux fois plus efficace que les programmes de réinsertion en vigueur au Québec.

«On veut aller vers les pratiques prometteuses. On veut s'assurer que ce qu'on fait sur le terrain pour lutter contre l'itinérance, c'est la bonne chose. Il faut avoir le courage de se demander: est-ce que ce qu'on fait est correct? Et s'il y a des choses qui vont bien, il faut avoir le courage d'aller dans cette direction», dit Mme Duguay.

Le gouvernement actuel s'est engagé à donner suite à la politique sur l'itinérance présentée par la ministre péquiste Véronique Hivon avec un plan d'action précis. La création de 500 logements sociaux, annoncée par le PQ, a d'ailleurs été confirmée. «La solution, ce n'est pas juste le logement social. Il faut développer d'autres formules», souligne Mme Duguay.

Des conclusions controversées

Les résultats des chercheurs de Chez soi, dont La Presse faisait état jeudi, ont fait grincer des dents au sein de plusieurs groupes. «Il y a une grosse critique des interventions faites au Québec, et pourtant, nous, on juge qu'il y a des choses qui fonctionnent très bien. On n'est pas prêts à dire que nos façons de faire sont moins efficaces», estime Marjolaine Despars, du Réseau d'aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal.

«Pour nous, une approche comme Chez soi, ce n'est pas une priorité. En donnant des subventions au loyer, on n'augmente pas le parc de logements abordables disponibles. La solution passe par la construction de nouveaux logements sociaux parce que c'est une façon d'éviter la rue dès le départ.»

«Ce sont des résultats impressionnants, reconnaît Jason Champagne, directeur des services courants et des programmes spécifiques au CSSS Jeanne-Mance, qui chapeaute une équipe dédiée à l'itinérance. Ce projet démontre que lorsqu'on met une intensité de services autour d'une personne, qu'on est prêt à défoncer des portes pour les aider, ça fonctionne. Quelle que soit l'approche adoptée.»

«Les gens de Chez soi donnent l'impression qu'ils ont trouvé le Saint Graal, mais le modèle actuel est utile pour une certaine catégorie de personnes», croit le directeur général de la Mission Old Brewery, Matthew Pearce.

«Ils ont tort dans leur évaluation des services québécois. Ils avaient raison il y a 10 ans. Mais depuis, il y a eu une transformation radicale dans le milieu, il y a beaucoup d'offre pour la réinsertion.»

L'obstacle à la réinsertion d'un ex-sans-abri survient souvent en fin de parcours, quand vient le moment de trouver un logement permanent à prix abordable. Pour régler cet enjeu de taille, M. Pearce estime que le Québec devrait offrir une subvention au logement, sur le modèle de ce qu'offrait le programme Chez soi.

«Moi, je lance un défi aux organismes communautaires. On a des ressources. Est-ce qu'on les utilise de façon adéquate pour aider les gens, et non pas juste pour maintenir le statu quo? Ce n'est pas suffisant de faire de bonnes choses. Il faut faire des choses qui transforment!»

Le psychiatre Olivier Farmer, maître d'oeuvre du programme PRISM, qui travaille avec sa collègue Lison Gagné dans les locaux mêmes de la Mission Old Brewery, estime qu'il faut aller vers la voie tracée par le programme lancé par la Commission nationale de la santé mentale. «Chez soi, c'est la Cadillac, le haut de gamme des services pour les itinérants. Et on a démontré que même avec ça, on arrive à un coût à peu près nul pour la société par rapport au fait de laisser quelqu'un dans sa misère. Le choix moral est clair!»