Le gouvernement libéral de Jean Charest répétait que Québec récoltait le maximum d'argent possible de ses ressources minières, mais il n'avait pas le moyen de le savoir, car il n'avait pas fait d'analyse coût-bénéfice, même sommaire. C'est ce que révèle le rapport du commissaire au développement durable Jean Cinq-Mars, rendu public mercredi.

Il dénonce aussi l'absence de contrôle de la qualité de l'eau et le déversement d'eaux usées dans l'environnement, ainsi que les importants dépassements de coûts dans les infrastructures en eau, un chantier majeur qui coûtera plus de 9 milliards de dollars dans les 30 prochaines années.

Pour les mines, le commissaire a procédé au suivi de15 recommandations formulées en 2009. Le gouvernement libéral a fait des «progrès satisfaisants» dans seulement quatre cas, essentiellement dans le partage d'information entre les différents ministères et la délivrance de certificats de libération, qui attestent qu'une minière a rempli ses obligations environnementales après la fin de l'exploitation.

Pour le reste, le commissaire reste sur sa faim: «Le ministère des Ressources naturelles n'a pas effectué d'analyse des principaux coûts et bénéfices liés à l'exploitation minière. Or, sans un tel exercice, il demeure impossible d'estimer les retombées nettes des activités minières pour la société québécoise.» Par exemple, on n'a pas intégré les dépenses en infrastructures et les rabais d'électricité utilisés pour attirer les minières.

Et c'est sans compter l'évaluation des externalités négatives pour l'environnement. Pourtant, le gouvernement aurait pu construire son évaluation à partir d'études privées existantes, explique-t-on au bureau du commissaire.

Le gouvernement libéral avait haussé les redevances sur les profits de 12 à 16 %. Le gouvernement péquiste consulte les minières afin de mettre sur pied un nouveau régime, avec un impôt sur la valeur brute, et non nette. Il a déjà relevé que, en raison des différentes déductions fiscales, 10 minières sur 19 n'avaient pas versé un seul dollar de redevances en 2010.

Autres reproches du commissaire: il n'y a pas eu de progrès satisfaisants pour s'assurer que les minières respectent leurs plans de réaménagement et de restauration ou offrent une garantie financière suffisante pour restaurer le site après exploitation. On ne vérifie pas l'inspection des sites à «une fréquence optimale», et on ne documente pas les dossiers pour permettre un suivi efficace. Pendant ce temps, la valeur des sites orphelins - abandonnés par les minières et dont la restauration doit être payée par les contribuables - s'élève à 1,1 milliard de dollars. Elle était de 269 millions il y a quatre ans.

Le gouvernement libéral avait essayé d'adopter deux réformes de la loi sur les mines. La dernière, le projet de loi 14, resserrait notamment les règles sur la restauration des sites. Il exigeait que les minières offrent une garantie de 100 % des coûts de restauration. Mais il était dénoncé par les environnementalistes et a été bloqué par l'opposition péquiste. Les environnementalistes ont néanmoins demandé son adoption l'hiver dernier, car il était préférable selon eux au statu quo.

La ministre des Ressources naturelles, Martine Ouellet, doit bientôt déposer son projet de loi sur les mines. Pour ne pas attendre son adoption, qui n'est pas garantie puisque le gouvernement est minoritaire, Mme Ouellet décrétera bientôt un règlement pour forcer les minières à garantir 100 % des coûts de restauration.

Inquiétudes pour l'eau

Le manque de suivi dans les importants contrats en infrastructures d'eau potable inquiète aussi le commissaire. Plus de 9 milliards de dollars en dépenses sont prévus dans les prochaines décennies pour réaliser ces travaux et mettre en oeuvre le règlement sur l'assainissement des eaux usées. Mais les municipalités manquent de compétences techniques pour suivre ces travaux.

Le gouvernement «subit ultimement une grande partie des répercussions financières». Et il n'aide pas sa cause. Le commissaire note des «lacunes» dans la surveillance au ministère des Affaires municipales. Parfois, les coûts et subventions doublent presque par rapport à ce qui était prévu. «Le gouvernement n'a pas l'assurance de payer un coût optimal», conclut le commissaire. Il déplore aussi l'absence de «portrait global et récent» des infrastructures.

Le problème n'est pas seulement financier. La qualité de l'eau et de l'environnement est aussi préoccupante, à en juger par le rapport.

L'une des «principales causes» de la tragédie de Walkerton, survenue en 2000 en Ontario, était le manque de compétence du personnel, rappelle le commissaire. À cet égard, le Québec s'est amélioré. Mais il reste en retard. «Les exigences minimales d'apprentissage et de formation du Québec sont moins élevées que celles des autres provinces canadiennes», écrit le commissaire.

Pourtant, le gouvernement Landry s'était doté en 2002 d'une politique nationale de l'eau. «Ses résultats n'ont pas été concluants», lit-on dans le rapport.

Il n'existe pas de cadre de gestion pour mettre cette politique en place, note-t-il. On manque aussi de connaissances. Et quand il y en a, les données demeurent «partielles» et «non consolidées», donc difficilement utilisables. Le gouvernement a même cessé de produire un bilan annuel en 2008.

On n'est donc pas en mesure de connaître le «coût véritable de l'eau». Et sans connaître ce coût, il est difficile de mettre en place des mesures utilisateur-payeur, pollueur-payeur ou de conservation.

Le gouvernement a essayé d'agir pour limiter la consommation et mettre à jour les infrastructures. Mais la coordination entre les différents ministres reste «sporadique», ce qui nuit à leur efficacité.

Pour la qualité de l'eau potable, les lois et règlements en vigueur se comparent à ceux des autres provinces canadiennes,observe le commissaire. On manque toutefois de mesures de contrôle pour bien les appliquer. Par exemple, la méthode de prélèvement des échantillons ne permet pas de garantir l'évaluation de la qualité de l'eau.

Le suivi est aussi déficient dans le cas des eaux usées. Certaines municipalités (32 des 50 visées par le rapport) rejetaient encore parfois directement leurs eaux usées dans la nature, sans les traiter. On a relevé 140 débordements non conformes. Et lorsqu'on note ces infractions, il y a de «longs délais avant le retour à la conformité». Parfois, il faut attendre plus de 10 ans.

L'année dernière, le rapport du Commissaire au développement durable avait aussi sévèrement critiqué le gouvernement Charest. Il avait notamment déploré la reddition des comptes déficiente et le manque de données dans le plan de lutte contre les changements climatiques.

Bachand défend son travail

L'ancien ministre libéral des Finances, Raymond Bachand, assure qu'il disposait de suffisamment d'études pour choisir le bon taux de redevances. «On avait des dizaines et des dizaines d'études sur l'impact économique de l'industrie minière», a-t-il dit. Il mentionne entre autres les études de Secor, KPMG et PricewaterhouseCoopers, ainsi qu'une autre de Ressources naturelles Canada. Cette étude a établi que «l'ensemble de ce qu'on retire au Québec est plus élevé que dans les autres provinces canadiennes», indique-t-il. Si une minière faisait 100 dollars de profits, elle devait en verser 41 à Québec, et 30 à l'Ontario, le principal concurrent pour attirer les investissements. Si on haussait encore le niveau, on risquait de faire fuir les minières, soutient-il.

Ces informations restent toutefois insuffisantes pour fixer le niveau de redevances, selon le commissaire Cinq-Mars. «On ne peut pas simplement comparer les redevances avec ce qui se fait ailleurs. Il faut vraiment faire une analyse de coût-bénéfice. À ce moment-là, on aura un portrait réel.»

La ministre Ouellet n'a pas voulu affirmer clairement que son gouvernement aura le temps de réaliser un tel exercice avant d'annoncer son nouveau régime de redevances. «C'est certain (qu'une étude coût-bénéfice) sera dans l'analyse. Il y a une partie de ça qui sera réalisé», a-t-elle affirmé. En plus de son projet de loi sur les mines et du nouveau régime de redevances,elle prépare aussi un plan d'action sur les sites miniers orphelins.

Québec solidaire lui demande de bouger rapidement. «La ministre elle-même a admis en commission parlementaire que nous ne connaissons même pas le tonnage de fer extrait par les minières et que pour les autres minerais, nous devons nous fier aux chiffres fournis par les compagnies. Ilfaut sortir de cette position de faiblesse collective pour mieux négocier avec l'industrie minière», insiste son député Amir Khadir.

Les environnementalistes demandent aussi à la ministre d'adopter les recommandations du commissaire. Ces recommandations sont «souhaitables, réalistes et réalisables», selon Suzann Méthot de l'Initiative Boréale canadienne. «L'idée n'est pas de freiner le développement, mais de s'assurer que l'exploitation des ressources non renouvelables ne se fasse pas au détriment de la viabilité à long terme de nos communautés et de l'environnement. Le Forum sur les redevances est une réponse positive, mais il faudra faire plus et réviser profondément la loi sur les mines», estime-t-elle.

La Coalition pour que le Québec ait meilleure mine abonde dans le même sens. «C'est ce que nous dénonçons depuis plus de cinq ans. Il est temps que les choses changent et que les partis politiques cessent de faire de la petite politique sur le dos de l'environnement, de la santé et de la qualité de vie des citoyens directement touchés», a affirmé par voie de communiqué Henri Jacob de l'Action boréale de l'Abitibi-Témiscamingue, un groupe membre de la Coalition.