Le climat était déjà tendu entre les chercheurs en santé du pays et l'agence fédérale chargée de financer leurs travaux, voilà qu'un nouvel incident vient l'envenimer. Jeudi dernier, le fédéral a provoqué une fuite de renseignements confidentiels qui met plusieurs scientifiques dans l'embarras. L'incident ajoute à ce que plusieurs chercheurs décrivaient déjà comme une «crise de confiance» avec Ottawa.

Jeudi soir, une cinquantaine de chercheurs du pays ont été mûrs pour une bonne surprise en se rendant sur un site internet fédéral pour voir si leur projet avait été financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), la principale agence fédérale qui subventionne leurs travaux. Non seulement ont-ils pu obtenir le verdict une journée à l'avance, mais en plus celui-ci était accompagné du nom et des commentaires des autres scientifiques qui ont évalué leur projet.

Dans ce type d'évaluation, le nom des évaluateurs est toujours tenu secret afin de leur permettre de se prononcer en toute liberté et d'éviter les conflits entre chercheurs.

«C'est incroyable, je suis absolument horrifiée», a commenté à La Presse Holly Witteman, professeure adjointe à la Faculté de médecine de l'Université Laval. 

«Pour les évaluateurs qui ont vu leur nom divulgué, c'est horrible. Leur rôle est d'être critiques, mais ils le sont en sachant qu'ils sont protégés par l'anonymat.» - Holly Witteman

Jim Woodgett, directeur de la recherche au Lunenfeld-Tanenbaum Research Institute, à Toronto, souligne que le milieu de la recherche en santé est petit au Canada. Tout le monde connaît tout le monde, dit-il, et ceux qui sont aujourd'hui chargés d'évaluer les projets de leurs pairs peuvent très bien être évalués par ces mêmes personnes lors des concours suivants.

«Plusieurs scientifiques vont maintenant avoir de la misère à se regarder dans les yeux», lance-t-il.

Selon les IRSC, la bourde a été provoquée par «une panne de système causée par une panne d'électricité locale». L'agence soutient que les problèmes concernent «un maximum de 49 participants» et que les informations ont été accessibles pendant une période de 17 minutes. Comme chaque participant est évalué par plusieurs personnes, les scientifiques touchés se comptent toutefois par centaines.

«Les IRSC déplorent sincèrement la situation et en reconnaissent la gravité vu l'importance de la confidentialité dans le processus d'évaluation par les pairs», a expliqué l'organisation dans un communiqué, affirmant qu'elle essaie de comprendre les causes du problème.

«Crise de confiance»

Cette divulgation accidentelle ne pouvait survenir à un pire moment pour les IRSC, qui subissent déjà les foudres des chercheurs depuis un moment. Plusieurs d'entre eux estiment en effet que le processus mis en place pour déterminer quels projets seront financés est un «échec» et soulève «de profondes inquiétudes».

En 2012, Ottawa a annoncé une réforme en profondeur du processus d'évaluation des projets de recherche en santé. Les formulaires de demande ont été raccourcis. Les évaluateurs ont cessé de se rencontrer en personne pour laisser place à un processus entièrement en ligne. Un programme informatique controversé a même été développé pour faire correspondre l'expertise des évaluateurs aux projets évalués.

Dans une lettre ouverte publiée il y a trois semaines, près de 1300 chercheurs ont affirmé que le nouveau processus a créé une «crise de confiance» entre les chercheurs et les IRSC. Selon eux, des évaluateurs qui n'ont pas les compétences pour évaluer les projets sont parfois choisis. L'absence de réunion physique les a aussi «désengagés» du processus, si bien qu'une importante fraction d'entre eux n'aurait même pas participé aux discussions en ligne.

Vendredi dernier, le choix des projets retenus au terme de ce processus a été annoncé. Selon Jim Woodgett, de Toronto, les problèmes redoutés ont été manifestes.

«D'abord, la quantité de rétroaction fournie aux participants était minimale, dans certains cas inexistante. Dans d'autres cas, les commentaires des évaluateurs ont clairement montré qu'ils n'avaient pas les qualifications pour évaluer les projets», soutient-il.

«Cela concerne tous les contribuables canadiens, dont les impôts ne servent pas à soutenir les meilleurs projets de recherche en santé.» - Le chercheur Jim Woodgett

Notons que ce ne sont pas tous les chercheurs qui partagent ce point de vue. Selon Lucie Germain, professeure titulaire au département de chirurgie de la Faculté de médecine à l'Université Laval, le problème principal n'est pas la façon dont les demandes sont évaluées, mais le fait que les fonds sont si restreints que seulement 13% des projets soumis aux IRSC reçoivent une subvention.

«C'est le manque d'argent qui cause les problèmes actuels. Le processus d'évaluation n'est pas parfait, mais j'ai 100% confiance dans les IRSC», dit-elle.

Une réunion appréciée

Devant les préoccupations des chercheurs, la ministre de la Santé du Canada, Jane Philpott, avait tenu une réunion mercredi dernier à Ottawa avec une cinquantaine de chercheurs. Les participants se sont rapidement entendus sur plusieurs recommandations, notamment rétablir les réunions en personne entre les évaluateurs. La réponse rapide de la ministre a été saluée par les chercheurs. Mais la divulgation de renseignements confidentiels par les IRSC, survenue le lendemain, est venue assombrir le tableau.

«Quand vous avez une brèche de confidentialité, l'ampleur des dommages n'est pas nécessairement déterminée par le nombre de personnes touchées, dit Jim Woodgett. Ici, ça ne touche pas des milliers de chercheurs, mais ça n'aurait jamais dû se produire et ça mine la confiance.»

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SUBVENTIONS ACCORDÉES PAR LES IRSC EN 2016

611 subventions accordées

667 millions débloqués

13% des projets soumis ont reçu une subvention.