(Ottawa) La Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations affirme que le Canada échoue systématiquement à répondre aux exigences du « principe de Jordan », qui prévoit de financer rapidement les services de santé et les services sociaux destinés aux enfants, et de déterminer plus tard quel ordre de gouvernement devra payer.

L’organisme cite notamment de plus longs délais de réponse aux demandes d’informations ou d’assistance pour déposer une réclamation et, dans de nombreux cas, des attentes prolongées pour que les réclamations soient approuvées, pendant que les enfants qui ont besoin de soins attendent.

Ces allégations sont contenues dans deux déclarations sous serment transmises vendredi au Tribunal des droits de la personne dans le cadre d’une requête pour non-conformité que l’organisme a déposée contre le gouvernement fédéral pour sa mauvaise gestion du « principe de Jordan ».

Le « principe de Jordan » stipule que lorsqu’un enfant a besoin de services de santé, de services sociaux ou éducatifs, il doit les recevoir du premier gouvernement contacté, les questions de compétence finale devant être réglées par la suite.

Cette règle juridique porte le nom de Jordan River Anderson, de la nation crie de Norway House, au Manitoba. Né en 1999 avec de multiples handicaps, le garçon est décédé à l’âge de cinq ans sans n’avoir jamais pu quitter l’hôpital, alors que les gouvernements fédéral et provincial ne parvenaient pas à décider qui devrait payer pour ses soins à domicile.

La Chambre des communes a ensuite adopté à l’unanimité en 2007 une motion visant à respecter ce « principe de Jordan », mais elle a depuis été accusée à plusieurs reprises de ne pas en avoir respecté l’esprit.

Cindy Blackstock, directrice de la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations, a déclaré que dans la pratique, les réclamations faites en vertu du « principe de Jordan » prennent trop de temps à traiter et que le gouvernement fédéral met beaucoup trop de temps à répondre aux demandes.

« Lors du service commémoratif de Jordan River Anderson, j’ai promis à sa famille que je ferais tout ce que je pouvais pour garantir que le principe de Jordan soit respecté afin qu’aucun autre enfant n’ait à souffrir comme lui, écrit Mme Blackstock dans sa déclaration sous serment de 57 pages au Tribunal des droits de la personne. Dix-huit ans plus tard, j’essaie toujours de tenir cette promesse. »

Attentes interminables

Mme Blackstock soutient que le gouvernement fédéral sait que les réclamations en vertu du principe de Jordan s’accumulent, mais elle refuse de divulguer l’ampleur de cet arriéré. Elle a déclaré qu’il y avait notamment des retards importants du gouvernement dans la réponse aux appels liés au principe de Jordan et dans le remboursement des services. Dans certains cas, les retards dans l’approbation des services signifient que les enfants attendent des mois pour obtenir les soins dont ils ont besoin.

Par exemple, la ligne du Centre d’appel du principe de Jordan au Canada est censée être disponible 24 heures sur 24, mais cela peut prendre des heures pour obtenir un retour d’appel – si cet appel arrive un jour.

Mme Blackstock soutient que sur 25 appels faits à ce centre par des membres du personnel de son organisme depuis janvier 2023, ils n’ont été mis en contact que deux fois avec un agent en direct. Lorsque Mme Blackstock a aidé les familles avec leurs appels, certains problèmes n’étaient résolus qu’après avoir contacté les représentants via leurs courriels non publics.

Les demandes urgentes en vertu du principe de Jordan sont censées être traitées dans les 24 heures. Mais les demandes urgentes prennent jusqu’à un mois pour être examinées, selon l’organisme « Independent First Nations », qui représente une douzaine de Premières Nations de l’Ontario et du Québec.

La déclaration sous serment de Mme Blackstock au Tribunal des droits de la personne indique que près de la moitié des demandes présentées par des individus de ces Premières Nations en 2023-2024 sont toujours en cours d’examen, ainsi que 10 % des dossiers soumis en 2022-2023.

Les retards s’étendent aussi au remboursement des prestataires de services, le ministère des Services aux Autochtones n’ayant pas tenu sa propre promesse d’effectuer ces paiements dans les 15 jours, a fait valoir la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations. En 2022-2023, le ministère n’a traité que 50,7 % des paiements dans les 15 jours ouvrables, contre 82,9 % en 2021-2022.

Au cabinet de la ministre des Services aux Autochtones, Patty Hajdu, on indiquait la semaine dernière à La Presse Canadienne que le gouvernement procédait à un examen attentif de la requête pour non-conformité déposée par l’organisme et qu’il était trop tôt pour commenter ce dossier.

Le Tribunal des droits de la personne devrait entendre en avril ou au début de mai la requête en non-conformité au principe de Jordan du gouvernement fédéral.

La déclaration sous serment de Mme Blackstock intervient quelques mois seulement après qu’elle a contribué à obtenir justement un règlement de 43 milliards en matière de protection de l’enfance avec le gouvernement fédéral pour sa gestion de la protection de l’enfance et du principe de Jordan.