La fraude alimentaire existe depuis toujours, mais on commence à peine à prendre le phénomène vraiment au sérieux. Hier et aujourd'hui, des experts internationaux sont réunis à Québec pour discuter des moyens de détecter, et de contrôler, ce fléau qui mine la confiance des consommateurs. Et des données obtenues par La Presse confirment que le phénomène n'épargne pas le Canada et le Québec.

VIANDE, PRODUITS LAITIERS, VÉGÉTAUX...

Pour l'exercice 2015-2016, l'Agence canadienne d'inspection des aliments (ACIA) a testé 3601 aliments importés à l'un des points d'entrée au Québec : 20 % n'étaient pas conformes, a appris La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information. Cela peut être un défaut d'étiquetage, simplement des fautes dans les documents d'importation comme une réelle fraude sur le contenu. Les produits alimentaires qui sont le plus souvent non conformes à la réglementation sont la viande, les produits laitiers (principalement le lait) et les végétaux, précise l'ACIA.

7 % DE MIEL DILUÉ

Une partie du miel importé au Canada n'est pas conforme. On y a ajouté un agent sucrant qui le dilue. Et réduit son coût. Sur 266 échantillons de miel importé analysés par l'Agence entre le 1er avril 2013 et le 31 janvier 2017, 19 étaient altérés, soit un taux de non-conformité de 7 %. Il s'agit souvent du miel qui est destiné à la transformation alimentaire, explique Rod Scarlett, directeur du Conseil canadien du miel. Lorsqu'il est un ingrédient mineur dans un produit, la fraude est facilement masquée. Selon Rod Scarlett, les importateurs savent qu'ils ont affaire à un miel frelaté, mais préfèrent payer moins cher pour leur matière première.

LA CHINE À L'OEIL

La majorité du miel frauduleux est produit en Chine, explique Rod Scarlett, mais il a souvent fait un détour par un autre pays avant d'arriver au Canada, ce qui complique le travail des inspecteurs.

PLUS D'ANALYSES, SVP

L'ACIA a un programme d'analyse spécifique pour le miel, sachant qu'il se trouve sur la liste des aliments les plus souvent contrefaits. L'Agence teste, en moyenne, cinq ou six échantillons de miel par mois. Trop peu, estime le Conseil canadien du miel, qui demande à Ottawa d'augmenter le nombre d'inspections et d'utiliser une technologie plus moderne afin de détecter les fraudes les plus sophistiquées.

DOUTES SUR L'ORIGAN

En 2016, une équipe de l'Université Queen's de Belfast, dirigée par Chris Elliott, a fait des tests sur de l'origan. Conclusion : le quart (25 %) de l'origan qui se trouvait alors dans les marchés au Royaume-Uni était altéré. Les fines herbes sont faciles à couper avec d'autres feuilles, comme celles de l'olivier, qui ont peu de valeur. « Nous avons choisi l'origan, car tout le monde en a dans sa cuisine », a expliqué le professeur Elliott, invité à Québec au colloque sur la fraude alimentaire organisé par l'Institut sur la nutrition et les aliments fonctionnels de l'Université Laval. L'équipe a ensuite fait des tests sur l'origan offert dans les épiceries de certains autres pays pour trouver des résultats similaires. Au Canada, le taux de non-conformité était encore plus élevé, à 35 %. Le groupe s'est alors intéressé à certains pays exportateurs d'herbes pour trouver des anomalies flagrantes : en 2014, la Turquie a exporté 20 % plus d'origan qu'elle en a produit, explique Chris Elliott. Bonne nouvelle : au Royaume-Uni, l'étude de Queen's sur l'origan a fait grand bruit et forcé les détaillants à revoir leur chaîne d'approvisionnement, ce qui a pratiquement enrayé la fraude en seulement 12 mois, précise Chris Elliott.

Archives La Presse canadienne

La viande fait partie des produits alimentaires qui sont le plus plus souvent non conformes à la réglementation, selon l'Agence canadienne d'inspection des aliments.

POUR UNE POLICE DES ALIMENTS

« Tous les pays devraient avoir une police des aliments », estime Karen Gussow, enquêteuse pour le Service d'investigation et d'intelligence criminelle des Pays-Bas, qui était présente hier au colloque de l'Université Laval. Son rôle : épingler les criminels de la contrefaçon alimentaire en Europe. « Notre rôle est très différent de celui des inspecteurs des agences publiques. Les inspecteurs vérifient les aliments, nous avons le pouvoir de mettre des téléphones sur écoute et de mener des enquêtes lorsque les soupçons sont sérieux. »

LE CANADA EN RÉFLEXION

Le Canada n'a pas ce type d'escouade, mais n'est pas fermé à l'idée. « Il faut y réfléchir et voir si c'est adapté à notre système », explique Aline Dimitri, qui est à la tête de la Direction des sciences de la salubrité des aliments de l'ACIA. « C'est une option que l'on regarde. »

DES APPELLATIONS D'ORIGINES NON CONTRÔLÉES 

La supercherie concerne parfois les prétentions d'un aliment. Selon Chris Elliott, professeur à l'Université Queen's de Belfast, expert de la fraude alimentaire, quatre allégations sont plus susceptibles d'être utilisées frauduleusement : 

1. le pays d'origine de l'aliment ;

2. les prétentions de bien-être animal ;

3. les produits issus de l'agriculture biologique ;

4. les aliments équitables.

LA CONTREFAÇON AU QUÉBEC

Le quart des Québécois (24 %) croient que la fraude est présente ou même très présente dans la chaîne alimentaire ici, révèle un sondage mené par le Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO) l'automne dernier. Les chercheurs notent aussi que 22 % la croient absente et que 15 % n'ont aucune opinion sur le sujet. Le sondage du CIRANO a aussi démontré que la moitié des Québécois (53 %) seraient heureux de mettre dans leur panier des aliments qui afficheraient une étiquette « 0 fraude », certifiant que le produit est entièrement fiable. Une partie (34 %) est même prête à payer davantage, à condition que la différence de prix soit minime...

COMBIEN DE PLAINTES ?

La fraude alimentaire se détecte difficilement. L'ACIA procède à des tests aléatoires, des contrôles ciblés vers des catégories d'aliments plus susceptibles d'être altérés ou à la suite de plaintes. Le hic : les dénonciations sont rares. L'ACIA reçoit environ 40 plaintes par année. Pour tout le pays. Et au Canada, les amendes sont rares : l'année dernière, l'entreprise Mucci a dû payer 1,5 million de dollars pour avoir vendu des tomates mexicaines en prétendant qu'elles étaient canadiennes. Une somme record.

- Avec William Leclerc, La Presse