Les dirigeants du Service canadien du renseignement de sécurité (SRCS) font volte-face : après s'être engagés devant un comité du Sénat le mois dernier à préciser si des journalistes avaient fait l'objet d'une enquête de leur part dans le passé, ils reviennent sur leur parole dans une réponse écrite qui a été envoyée au sénateur conservateur Claude Carignan.

Dans leur réponse écrite, les dirigeants du SCRS justifient cette volte-face en affirmant qu'ils pourraient « compromettre l'intégrité des opérations » de l'organisation et « nuire à sa capacité d'exercer le mandat que le Parlement lui a confié » s'ils confirmaient que le SCRS avait déjà eu un journaliste dans sa ligne de mire dans le passé.

« Ainsi, le SCRS est au regret de ne pas pouvoir confirmer si des journalistes ont fait l'objet d'une de ses enquêtes, et ce, même si son représentant s'était engagé à donner une réponse spécifique », affirme le SCRS dans sa réponse écrite, obtenue par La Presse.

Durant son témoignage devant le comité sénatorial permanent de la sécurité nationale et de la défense, le 28 novembre, le directeur adjoint aux opérations du SCRS, Brian Rumig, s'était pourtant engagé à préciser aux membres du comité le nombre de journalistes qui auraient été la cible de surveillance directe ou indirecte.

M. Rumig avait pris cet engagement après avoir été soumis à un interrogatoire serré de la part du sénateur conservateur Claude Carignan.

« Je ne dispose pas de cette information en ce moment, mais je vais m'avancer et dire qu'il se peut qu'au cours des 30 années d'existence du Service, des journalistes aient fait l'objet d'une enquête du SCRS en raison d'activités liées à des menaces pour la sécurité du Canada. Je ne connais pas les chiffres actuels, et je ne suis pas au fait du contexte », avait alors déclaré M. Rumig, se disant aussi « certainement » prêt à fournir l'information pertinente par écrit plus tard.

Or, dans sa réponse de 10 paragraphes, le SCRS affirme qu'il n'enquête actuellement sur aucun journaliste pour établir l'identité de ses sources, et qu'il « n'enquêterait pas sur un journaliste ou qui que ce soit d'autre simplement parce que cette personne détiendrait des informations utiles sur un autre individu ». Il ajoute aussi que « la liberté de la presse est un pilier de notre démocratie ». Mais pour ce qui est de répondre à la demande du sénateur Carignan, on refuse de donner des précisions.

Projet de loi S-231

Interrogé à ce sujet, hier, M. Carignan a indiqué que cette réponse le laisse pantois. Selon lui, cette tournure des évènements rend encore plus pertinent le projet de loi S-231 qu'il a déposé au Sénat visant à protéger la confidentialité des sources journalistiques.

Ce projet de loi, qui pourrait franchir l'étape de la deuxième lecture avant la fin de la session parlementaire, aurait pour effet de modifier la Loi sur la preuve au Canada de sorte qu'il incomberait aux forces de l'ordre de convaincre un juge qu'il est dans l'intérêt public de ne pas protéger la confidentialité des sources d'un journaliste dans un cas précis.

M. Carignan croit que son projet de loi sera étudié par un comité du Sénat en février. Il compte inviter les représentants des médias et des associations de journalistes à témoigner, entre autres.

Photo Étienne Ranger, archives Le Droit

Dans une réponse écrite envoyée au sénateur Claude Carignan, le Service canadien du renseignement de sécurité affirme qu'il n'enquête actuellement sur aucun journaliste pour établir l'identité de ses sources.