En apprenant samedi la mort de l'ancien dictateur Jean-Claude Duvalier, la communauté haïtienne de Montréal a dû faire face à un verdict sans appel : «Bébé Doc» ne sera jamais jugé pour les crimes dont il était accusé.

La présidente-directrice générale de Montréal International, Dominique Anglade, a été l'une des premières personnalités publiques québécoises à réagir sur les réseaux sociaux. «Mes pensées aujourd'hui vont à toutes les victimes de la dictature Duvalier, les disparus qui n'auront jamais obtenu justice», a-t-elle écrit.

Quand La Presse l'a contactée pour obtenir son témoignage, elle a d'abord demandé d'attendre quelques heures avant de nous parler. Très émotive, sa famille a été - comme celle de bien d'autres Haïtiens qui habitent à Montréal - victime du régime de terreur imposé sous Duvalier.

Mme Anglade est la fille de l'écrivain Georges Anglade et de l'économiste et féministe Mireille Neptune Anglade, tous deux morts en Haïti lors du séisme de 2010. Après avoir fui le pays une première fois, ses parents y sont retournés pour un bref séjour il y a 40 ans, alors qu'elle n'était qu'une enfant. Ils voulaient voir s'ils pouvaient imaginer revenir vivre dans leur pays natal.

Sur le chemin du retour, à l'aéroport, son père a été arrêté par les policiers du régime. Sa famille a été sans nouvelles de lui pendant près d'un mois, avant qu'il ne soit rapatrié au Canada sous la pression internationale.

Quelques minutes avant l'entrevue, le président haïtien Michel Martelly avait publié un message controversé sur l'internet. «J'adresse mes sincères sympathies à l'endroit de la famille et de la nation tout entière en cette triste circonstance», a-t-il écrit, ajoutant : «En dépit de nos querelles et nos divergences, saluons le départ d'un authentique fils d'Haïti.»

Mme Anglade comprend que la diaspora haïtienne réagisse avec colère à ces paroles.

«Quand on sait que des milliers d'Haïtiens sont disparus pendant cette dictature, que les familles ont été déplacées, que l'élite a quitté le pays, ces propos sont inimaginables. [...] Jean-Claude Duvalier est mort d'une crise cardiaque comme un homme normal. Comme s'il avait passé toute sa vie à travailler et payer ses impôts. C'est quand même particulier qu'un être comme lui puisse finir sa vie aussi simplement, sans aucune conséquence», a-t-elle affirmé.

«Les gens n'ont pas pardonné aux criminels»

Ce sentiment de surprise est aussi partagé par la directrice générale de la Maison d'Haïti, Marjorie Villefranche. Sa famille a elle aussi fui Haïti «sous le régime de terreur instauré par le père de Jean-Claude Duvalier, François».

«Je suis arrivée au Canada à l'âge de 12 ans. Vivre sous la gouverne de Duvalier père, c'était vivre dans la terreur. En plus d'avoir instauré un régime dictatorial, il avait instauré un climat de terreur comme celui qu'on voit parmi les organisations terroristes islamiques», a-t-elle affirmé.

Mme Villefranche, qui connaît très bien la communauté haïtienne de Montréal - la plus importante au Canada -, est convaincue que ses compatriotes sont tristes que le dictateur n'ait pas été jugé. Bébé Doc mort, l'impunité a gagné, a-t-elle dit.

«Si [M. Martelly] a écrit ce message sur Twitter, c'est probablement qu'il était un ami de Duvalier. Que demande-t-il, alors ? La réconciliation ? Même en Afrique du Sud, où il y a eu réconciliation après l'apartheid, les gens n'ont pas pardonné aux criminels, à ceux qui avaient tué. Les assassins, on les a jugés», a rappelé la directrice générale de la Maison d'Haïti, encore sous le choc de la nouvelle.