Ils sont médecins, professeurs, éducatrices, fonctionnaires. Ils sont souvent nés au Québec et travaillent depuis plusieurs années dans la fonction publique. Mais ils portent un signe religieux ostentatoire. Que feront-ils si la Charte des valeurs prend force de loi? Leur réponse est unanime: ils ne mettront pas de côté leur foi pour aller travailler.

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SANJEET SINGH SALUJA Profession: urgentologue, Centre hospitalier universitaire McGill Né au Québec Religion: sikhe Signe ostentatoire: turban

Q Que pensez-vous de la Charte des valeurs rendue publique aujourd'hui?

R C'est un signe d'intolérance de la part du Parti québécois. Franchement, ce n'est pas nécessaire. Tout fonctionnait bien depuis plusieurs années. Je parle français. Je suis né au Québec. J'ai vécu ici toute ma vie. Que je porte le turban, ça n'a jamais dérangé personne, sauf quelques hurluberlus qui m'ont dit de retourner dans mon pays... Je suis fier de ma religion et je veux que mes enfants en soient fiers aussi. Si mon fils voulait être enseignant, il ne pourrait pas réaliser son rêve? C'est impensable pour moi. Le message qu'on nous envoie, c'est que nous ne faisons pas partie de cette société.

Q Qu'allez-vous faire si la loi est adoptée?

R Enlever mon turban, ce serait comme me couper un bras. Ça fait partie de mon identité. J'aime mon travail. Je ne veux pas partir à cause d'un turban. Pour l'instant, on va laisser les politiciens parler. Je veux rester ici le plus longtemps possible, parce que je suis fier d'être un Québécois. Mais si je ne suis plus capable de travailler au Québec, je partirai.

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Z. M. Profession: fonctionnaire Née au Maroc, arrivée au Québec à l'âge de 14 ans. Religion: musulmane Signe ostentatoire: hijab

Q Que pensez-vous de la Charte des valeurs rendue publique aujourd'hui?

R C'est vraiment malheureux que le Québec en arrive à ça. Je trouve cela tellement injuste! Avant d'immigrer ici, on nous fait passer toutes sortes d'entrevues. Jamais cette possibilité n'a été évoquée. On a justement choisi le Canada pour sa tolérance. À mon avis, on agit pour des motifs électoraux. Je suis d'accord pour un État laïque, mais je pense que les gens devraient pouvoir afficher des signes religieux. Dans le cadre de mes fonctions, je dois parfois me rendre en cour et faire prêter serment aux citoyens sur la Bible. Je n'ai pas de problème avec ça. Chacun a ses croyances. Je respecte le décorum de la cour. Je mets ma toge, des souliers plats et je ne porte pas un foulard de couleur vive.

Q Qu'allez-vous faire si la loi est adoptée?

R Je n'enlèverai pas mon voile. Je vais démissionner. Je vais partir. C'est la même réaction chez tous les gens de mon entourage. On va se retrouver sur l'aide sociale, et c'est très malheureux pour le Québec. Je ne vais pas abandonner ma religion. Le voile, ça fait partie de ma foi.

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MICHAEL BENSEMANA Profession; professeur d'anglais, école Saint-Laurent. Né au Québec Religion: juive Signe ostentatoire: kippa

Q Que pensez-vous de la Charte des valeurs rendue publique aujourd'hui?

R Ça m'atteint personnellement. Je pense que la société québécoise est bien plus ouverte que ce document le laisse entendre. Je suis né ici. Or, je me sens exclu. Si j'avais Bernard Drainville devant moi, je lui poserais plusieurs questions. Comment ma kippa influencerait-elle qui que ce soit à faire quoi que ce soit dans le cadre d'un cours d'anglais? Et si je me retrouve sans emploi, avec quatre enfants, je fais quoi? De diviser la société québécoise, était-ce vraiment une nécessité à ce stade-ci? Je travaille avec des gens fantastiques, ouverts d'esprit. Au début, on m'a posé des questions sur ma kippa. J'ai répondu, tout simplement. Depuis quelques semaines, mes collègues musulmans sont tous venus me voir. On est tous dans le même bateau. On croyait qu'on était bienvenus ici, et finalement, ça n'est pas le cas! Moi, je suis né ici, mais c'est encore pire pour eux: on les a fait venir avec des promesses d'emploi. Ils se sont installés ici, et maintenant...

Q Qu'allez-vous faire si la loi est adoptée?

R J'attendrai de voir les conséquences concrètes. Est-ce que ce serait un renvoi? S'il faut que je parte, je partirai. Mais ce serait déchirant pour moi. J'adore mon emploi et mes élèves. La kippa, c'est une obligation pour un juif religieux. C'est comme la circoncision, ce n'est pas une option.

Photo André Pichette, La Presse

Michael Bensemana