Une dizaine d'ambulances sont appelées tous les mois à la prison de Bordeaux, la plupart du temps à la suite de violents règlements de comptes entre détenus.

> Les ailes de Bordeaux

Cette estimation, alarmante pour quiconque se préoccupe de la sécurité des prisonniers, provient du témoignage sous serment du chef d'unité responsable de l'aile C, considérée comme la plus vétuste et dangereuse de cette énorme prison du nord de Montréal.

L'automne dernier, ce chef d'unité, Ronald Dompierre, a été appelé à témoigner du climat de violence à Bordeaux dans la cause de deux trafiquants de drogue qui y ont été enfermés dans l'attente de leur procès.

En se basant sur son témoignage, la juge Isabelle Rheault, de la Cour du Québec, a conclu que des ambulances se présentaient à Bordeaux au moins «cinq, six fois par deux semaines», parfois pour répondre à des malaises ou à des intoxications, mais surtout pour récupérer des détenus violemment tabassés par d'autres.

Dans cette affaire, la juge Rheault a réduit la peine des deux accusés pour compenser leurs pénibles conditions de détention provisoires.

M. Dompierre a expliqué que les violences surviennent «par bourrées». Dans les périodes de tensions, les ambulances se rendent presque tous les jours à la prison du boulevard Gouin. Il y a aussi des périodes calmes.

Le chef d'unité a évalué que les gardiens étaient témoins d'une centaine d'incidents violents chaque année. Certaines victimes se retrouvent à l'infirmerie de la prison, mais les trois quarts doivent être transportées à l'hôpital pour y recevoir des soins.

Pourtant, le ministère de la Sécurité publique n'a officiellement recensé qu'un seul incident impliquant un «comportement causant des blessures graves entre personnes incarcérées» en 2011-2012 à la prison de Bordeaux.

Le Ministère ne tient pas le compte des transports ambulanciers, encore moins des raisons pour lesquelles les ambulances sont appelées à Bordeaux.

Pierre Couture, directeur adjoint du réseau correctionnel de Montréal, se dit néanmoins «très surpris» du témoignage de M. Dompierre. Selon lui, «la très grande majorité des transports ambulanciers» sont liés à des problèmes de santé.

«Nous avons une clientèle vieillissante qui nous arrive souvent de la rue, en très mauvaise santé. Ce sont des gens parmi les plus démunis. Alors effectivement, il y a beaucoup de transports à l'hôpital, mais c'est très rarement pour des voies de fait entre personnes incarcérées.»

»Les gardiens ont peur»

Une chose est claire: les statistiques officielles ne disent pas tout. En prison, les victimes ne dénoncent presque jamais leurs agresseurs, sachant le sort réservé aux délateurs. «Malheureusement, cela n'existe pas pour nous à ce moment-là, a admis M. Dompierre devant le tribunal. On sait que cela peut se produire, on n'est pas naïfs au point de penser qu'il n'y a pas de violence.»

Jimmy Dumaresq a baigné dans ce climat pourri chaque jour des cinq mois qu'il a purgés à Bordeaux, l'an dernier.

«Une fois, un détenu a mangé une bonne volée dans la cour, raconte-t-il. Ça a pris 40 minutes avant que les gardiens viennent lui porter secours. Le gars est parti en ambulance, magané. Il y avait du sang partout. On a été confinés en cellules pendant deux jours, puis on n'en a jamais réentendu parler.»

Selon lui, l'aile C est une zone hostile pour les nouveaux venus. «Il ne faut pas être nerveux, là-bas, parce qu'on se fait ramasser. Au nombre de gens qui entrent et qui sortent, c'est dangereux. Tu ne sais pas à qui tu as affaire et ça vire en bagarre. Il faut que tu surveilles tes arrières, tu dois t'allier avec des gens. Il n'y a pas de protection pour les détenus. Les gardiens ont peur, eux aussi. C'est le free for all.»

Les gardiens ne peuvent être partout à la fois, plaide l'un d'eux. «On s'aperçoit que les gars sont à moitié morts quand on fait notre ronde. On les ramasse à terre, dans leurs cellules. Ils baignent dans leur sang. On en a retrouvé un dans les poubelles, le visage tuméfié, au point qu'on a eu du mal à l'identifier.»

Il confirme que des ambulances sont régulièrement appelées à la prison. «La surpopulation, cela crée une pression sur les détenus. Les gars se choquent, il y a des vols. Si un psychiatrisé qui a besoin de fumer trouve un paquet de cigarettes, il le prend. Pour les autres, c'est un «rat de cellule», un voleur. À Bordeaux, ça ne pardonne pas.»