Ils voulaient s'éloigner du bruit et se rapprocher de la nature. C'est chose faite. Un an presque jour pour jour après leur départ de Notre-Dame-du-Lac, les 26 moines trappistes cisterciens ont sans aucun doute refait leur vie à Saint-Jean-de-Matha, dans Lanaudière. Le dernier frère a quitté Oka le 28 mars 2009.

«On a été gagnants sur toute la ligne, affirme dom Luc-André Barbeau, père abbé de la communauté. La nature ici est tellement plus belle. Pour la solitude et le silence, c'est beaucoup mieux.»

Retiré dans les bois, à presque deux kilomètres de la route principale, le nouveau monastère ultra-design tranche net avec l'ancienne abbaye d'Oka. L'odeur de cèdre a remplacé celle de la vieille pierre. Les planchers sont chauffés par la technologie géothermique. D'immenses fenêtres donnent sur la forêt environnante. Un peu plus et on se croirait dans un hôtel Ikea de grand luxe.

Entre les moines vieillissants et la fulgurante modernité du décor, le contraste est pour le moins frappant. Mais les trappistes ne semblent pas le remarquer. Val Notre-Dame répond à leurs besoins, tout simplement.

Cette nouvelle vie n'est pas venue sans ajustements, précise toutefois dom Barbeau.

Avec sa superficie de 7500 m2, le nouveau bâtiment - conçu par l'architecte Pierre Thibault - ne représente pas plus du tiers de ce qu'était Notre-Dame-du-Lac. Autant dire une réduction considérable du milieu de vie.

Mais à entendre le père abbé, la promiscuité aurait aussi ses avantages. «Avant, on pouvait vivre les uns à côté des autres sans se rencontrer. Certains frères ne se voyaient pas pendant des semaines. Cela a beaucoup changé nos relations. Cela nous a rapprochés. Et ce qu'on a perdu en espace, on l'a gagné en ouverture.»

Avec l'allègement des structures est aussi venue la réorganisation du travail.

Délestée de 10 employés, la communauté doit désormais tout faire elle-même, c'est-à-dire le chocolat, le gâteau aux fruits, le caramel et le beurre d'arachides, qui constituent toujours son pain et son beurre. Heureusement, disent-ils, qu'il n'y a plus le verger. Les pommes étaient devenues un poids à Oka. Quant à l'hôtellerie, toujours en activité, elle est passée de 40 à 13 chambres.

Mais pour le reste, rien n'a changé. Dans leur cloître, les moines continuent de prier sept fois par jour.

Comme le dit si bien le frère Bruno, 84 ans: «On a la même vie ici, exactement.»

Se faire voir

Vite oublié, Oka? C'est selon. Si la plupart des moines ne regrettent pas le déménagement, certains trouvent la transition plus difficile.

C'est le cas du frère André (ne pas confondre avec dom Luc-André), rare voix discordante du groupe, qui déplore un trop grand retrait de la communauté.

«À Oka, on était sur une route fréquentée, explique le moine, rencontré au comptoir du magasin. Les gens s'enfargeaient dans la boutique en passant. On pouvait être en ville en 20 minutes. Ici, il faut faire un détour. L'isolement et la nature, c'est bien beau. Mais notre plus grand défi est d'ancrer nos principes du XIIe siècle dans la réalité du XXIe siècle. Il faut qu'on se rapproche, pas qu'on s'éloigne...»

Sur ce point, le volubile frère André ne semble pas si éloigné des positions officielles du monastère. Conscient du déclin de sa communauté - qui est passée de 178 à 26 moines en 50 ans -, dom Barbeau a bien compris que l'avenir des trappistes devait passer par une plus grande visibilité.

«On n'a jamais rien fait pour attirer les gens, mais là je pense qu'il faut qu'on fasse des propositions», résume le père abbé. Il évoque entre autres un nouveau partenariat avec la faculté de théologie de l'Université Laval, une récente journée portes ouvertes destinée à la population locale et l'éventuelle ouverture d'une boutique trappiste à Montréal.

L'inhabituelle attention médiatique, reçue à l'occasion du déménagement, n'a fait que confirmer la chose: le monastère aurait reçu une vingtaine de demandes d'admission pendant cette seule période, trois fois plus que la normale.

«Ce qu'il y a eu de bien, avec les médias, c'est que nous avons existé de nouveau comme communauté priante et non seulement pour le fromage», lance dom Barbeau en souriant.

Dieu seul sait combien de ces novices seront acceptés à Val Notre-Dame. Il faudra au moins cinq ans, et quelques stages déterminants, avant d'évaluer leur capacité à vivre selon la règle de saint Benoît.

D'ici là, on peut prévoir que le nombre des cisterciens de Saint-Jean-de-Matha continuera de baisser.

Le 18 février dernier, frère Gaston est devenu le premier moine à décéder dans Lanaudière, à l'âge vénérable de 86 ans. Avec plus de 60 ans de vie monacale, il était le doyen de la communauté.

«Sa candeur et sa spontanéité vont nous manquer, conclut dom Barbeau. Mais il est parti en paix: son dernier souhait était de voir Saint-Jean-de-Matha.»