La mère de l'ex-entraîneur de ski Bertrand Charest soupçonnait dès 1993 que son fils entretenait une relation déplacée avec une athlète mineure. Elle lui a même écrit une lettre pour le supplier d'arrêter et le prévenir que la société était « impitoyable » et le condamnerait.

S'il faut en croire les faits qui lui sont reprochés, il n'a vraisemblablement pas écouté. L'homme, aujourd'hui dans la cinquantaine, aurait continué à faire des victimes jusqu'en 1998. Sa mère ne l'a pas dénoncé.

La lettre, dont le contenu a été lu lors de l'enquête sur remise en liberté de l'accusé en 2015, faisait l'objet d'une ordonnance de non-publication jusqu'à la fin du procès qui a eu lieu cette année. C'est maintenant chose faite. Les avocats de la défense et de la Couronne avaient jusqu'à mardi pour remettre leurs plaidoiries finales.

Juillet 1993 : la mère de l'accusé signe une missive de quelque 450 mots chargés d'émotion. À l'époque, l'athlète avec qui elle soupçonne son fils d'avoir une relation a tout juste 16 ans. Le coach en a 28. L'année précédente, elle a été hébergée chez les parents de l'entraîneur durant la saison de ski. M Charest vivait lui aussi chez ses parents. Entraîneur et skieuse auraient eu à cet endroit plusieurs relations sexuelles.

« Bertrand. Comme le dialogue entre nous est malheureusement impossible, et de ce que je pressens de ta façon de vivre et d'agir, il va dans ton intérêt et de mon devoir [...] de t'en parler. J'ai le pressentiment que tes rapports avec [nom de la victime présumée] sont plus que des rapports entre coach et athlète. Si tel est le cas, je pense que tu ne réalises pas la gravité de ton comportement, ou tu es carrément naïf. Elle est mineure. Ses parents te font confiance. Comme coach, tu as le devoir d'être intègre à tous les points de vue », écrit la mère.

Elle poursuit : « Ton agissement est inconvenable, impardonnable, inconscient. [La victime présumée] est une enfant. Elle est dans une période instable de sa vie et tu oses jouer avec ses sentiments. » 

« Tu risques de perdre ta job, d'être banni du milieu et de perdre tes amis. Ni plus ni moins. Ton avenir est en jeu. C'est à toi d'agir, et toi seul. De grâce, prends-toi en main. »

« Tu as le devoir d'agir maintenant [...] autrement, il sera peut-être trop tard. Si ce que je pressens est réel et que tu ne peux plus agir juste comme entraîneur, il est de ton devoir de remettre ta démission car tu outrepasses ton mandat. Je sais que ce que je viens de t'écrire est grave. Mais si la situation est réelle, dis-toi qu'une mère pardonne, mais que la société est impitoyable et te condamnera. Bertrand, j'ai présentement les larmes aux yeux. Mon coeur me fait mal car de t'accuser m'est très difficile. J'espère que cela est faux. »

« BEAUCOUP DE GENS SE DOUTAIENT »

La lettre, signée « Mom », a été découverte par la police de Mont-Tremblant en 2015 lors d'une perquisition au domicile de M. Charest. On a aussi trouvé des échanges entre lui et certaines victimes présumées.

Lors de l'enquête sur remise en liberté, le policier Jean-François Giroux, du Service de police de la Ville de Mont-Tremblant, qui a lu au juge la lettre de la mère de l'accusé, avait déploré qu'à l'époque des crimes allégués, « il y avait beaucoup de rumeurs qu'il se passait quelque chose entre les deux. Il semble que personne n'aurait rien fait, mais que beaucoup de gens se doutaient ».

« Aujourd'hui, ces gens-là ne veulent pas nécessairement en parler, mais ç'a été caché », selon lui.

Retour sur l'affaire Bertrand Charest

Bertrand Charest fait face à 57 chefs d'accusation, notamment d'agressions sexuelles, envers 12 plaignantes âgées de 12 à 19 ans au moment des faits allégués dans les années 90.

Entre 1991 et 1998, il a été entraîneur de ski à Mont-Tremblant, à la division Laurentienne et à l'équipe nationale junior. Les plaignantes sont toutes d'anciennes skieuses.

Il a été arrêté en mars 2015 après qu'une première skieuse eut contacté la police et il est détenu depuis.

Son procès a eu lieu à Saint-Jérôme en mars 2017. Il connaîtra son verdict le 22 juin.

Résumé des plaidoiries

Les dés sont jetés pour Bertrand Charest. Les avocats de l'ex-entraîneur de ski et les procureurs de la Couronne ont déposé par écrit leur plaidoirie finale cette semaine, mettant un terme au procès. Voici leurs arguments.

LA COURONNE

MODUS OPERANDI

Les actes de Bertrand Charest se ressemblent « dans les moindres détails » d'une victime présumée à l'autre. Il aurait utilisé avec elles un même modus operandi. On appelle cela une preuve de faits similaires. Pour toutes les plaignantes : 

• L'accusé était en situation d'autorité ou de confiance ;

• Il dénigrait les athlètes et minait leur confiance en elles avant de leur faire croire qu'elles étaient uniques et spéciales ;

• Il suscitait chez elles une dépendance envers lui en jouant avec leur désir de réussir en ski, pour obtenir ce qu'il désirait.

COLLUSION PEU PROBABLE

Il est peu probable que les plaignantes se soient concertées et aient menti dans leurs témoignages pour nuire à Bertrand Charest. Notamment, d'autres preuves corroborent les déclarations des plaignantes : 

• L'accusé a admis certains faits lui-même ;

• Il a avoué ses relations amoureuses avec certaines athlètes à plusieurs témoins ;

• Plusieurs lettres dans lesquelles l'accusé admet ses gestes ont été déposées en preuve ;

• Une plaignante s'est fait avorter.

LOURDES SÉQUELLES

Les 12 plaignantes ont raconté avoir souffert longtemps des gestes de l'entraîneur sur les plans psychologique et personnel : 

• Elles vivent un sentiment de honte ;

• Elles ont peur de le rencontrer ;

• Plusieurs ont suivi de longues thérapies.

SITUATION D'AUTORITÉ

« Il est difficile d'avoir une situation d'autorité plus claire que celle d'un entraîneur. L'accusé avait clairement sur ses athlètes un grand ascendant qui a eu des effets à très long terme sur leur vie. »

PREUVE RARE

La Couronne a déposé en preuve des vidéos tournées lors de camps d'entraînement à l'époque où se déroulaient les faits. « Rarement avons-nous la chance d'avoir ce genre de preuve. Les propos, les actions de l'accusé, mais également l'ambiance malsaine et inappropriée des comportements de l'accusé y sont clairs. »

Les témoins ont démontré que l'accusé a réussi à instaurer une culture où ses agissements étaient considérés comme normaux.

***

LA DÉFENSE

MODUS OPERANDI

La défense demande au juge de ne pas retenir la preuve de faits similaires. Pour qu'elle soit admissible en cour, sa valeur probante doit dépasser son effet préjudiciable pour l'accusé, ce qui n'est pas le cas selon les avocats de l'ex-entraîneur.

« Selon nos prétentions, les questions personnelles posées par l'accusé afin d'avoir davantage d'informations sur ses athlètes ainsi que les allégations de contrôle généralisé de celui-ci ne soutiennent aucunement un modus operandi. Durant le procès, la poursuite a tenté de démontrer que M. Charest dénigrait et rabaissait les personnes de sexe féminin afin de pouvoir les agresser sexuellement. Pourtant, deux de ses anciennes skieuses sont venues dire le contraire au tribunal. »

COLLUSION

Selon la défense, deux des plaignantes se sont parlé avant le procès. « Cela ne veut pas apporter comme démonstration qu'il y a eu collusion entre les témoins. Par contre, la prémisse de base de la poursuite comme tout le reste de sa preuve d'ailleurs ne peut que s'en trouver affectée [...]. [Au] tout début du procès, la prémisse de base de la part de la poursuite était à l'effet que toutes les victimes alléguées seraient venues témoigner sans avoir été contaminées de quelque façon que ce soit par d'autres victimes au cours du procès. Nous avons appris que cette affirmation n'était pas tout à fait exacte. »

VICTIMES CONFUSES

Plusieurs victimes alléguées n'ont pu situer dans le temps les gestes qu'elles reprochent à Bertrand Charest.

Un sentiment de vengeance a transparu dans le témoignage de plusieurs des plaignantes.

« La plupart des présumées victimes sont venues décrire de manière négative le caractère de l'accusé. Malgré cette description, la reconnaissance des résultats de l'accusé en tant qu'entraîneur a été catégorique. En effet, plusieurs présumées victimes n'ont pas pu pointer du doigt des infractions à caractère sexuel qu'elles auraient subies. »

SITUATION D'AUTORITÉ

« La Cour devra établir si l'accusé était en position d'autorité vis-à-vis chacune des présumées victimes puisque chacune d'entre elles est venue décrire la façon dont elle était en relation avec Bertrand Charest et selon les périodes, ce lien d'autorité pouvait se trouver ou pas à l'intérieur des relations avec chacune d'entre elles et lorsque ce lien était présent, il pouvait être à différents degrés selon les périodes où il aurait été leur entraîneur. »

COMPÉTENCE DU TRIBUNAL

Est-ce que le tribunal peut condamner Bertrand Charest pour certains gestes qui se seraient produits à l'extérieur du Canada ? Non, répondent ses avocats. Avant 2002 - les faits reprochés à l'ex-entraîneur se seraient produits dans les années 90 -, la loi exigeait qu'on obtienne le consentement de l'État où avaient été commis les actes, ce qui n'a pas été fait dans le présent dossier.