Le drone qui a percuté un avion transportant six passagers, jeudi dernier, à Québec volait au-dessus des limites autorisées par les fabricants, tout près d'une zone de vol restreinte. Une technologie toute simple appelée «géorepérage» aurait pu prévenir l'incident, mais l'industrie s'oppose à son implantation obligatoire.

DES MISSILES POUR PROTÉGER DES AVIONS COMMERCIAUX !

Les pilotes qui volaient dans le ciel de Québec jeudi ont manifesté leur malaise sur les ondes radio en apprenant qu'un drone a percuté « drette sur le nez » le Beechcraft King Air d'un confrère. Mais certains ont aussi ri de l'incident. L'un d'eux, à la blague, a suggéré d'utiliser des missiles air-air « Sidewinder » pour s'en débarrasser, déclenchant le rire du contrôleur aérien. À un pilote d'Air Transat qui demandait si l'incident a fait des blessés, le contrôleur aérien a répondu que les drones sont un « fléau de plus en plus présent » dans l'espace aérien.

UN DRONE SPÉCIALISÉ OU D'ANCIENNE GÉNÉRATION

Le rapport préliminaire d'incident rapporte que la collision a eu lieu à 730 mètres d'altitude (2400 pieds), en phase d'approche à une distance approximative de 7 milles nautiques de la piste. Martin Laporte, PDG de Drone Volt Canada, un magasin spécialisé, croit que le drone impliqué dans l'accident est probablement un appareil fait sur mesure avec des pièces détachées plutôt qu'un drone commercial grand public. « Tous les drones commerciaux de nouvelle génération sont bloqués à 500 mètres d'altitude », précise-t-il.

L'INDUSTRIE REFUSE D'AUGMENTER LE « GÉOREPÉRAGE »

Le blocage des drones à 500 mètres d'altitude par les fabricants n'est qu'une des nombreuses barrières logicielles qui peuvent être imposées pour protéger les espaces aériens. Le fabricant DJI, le plus important aux États-Unis, a commencé en 2015 à insérer des zones d'interdiction de vol dans le logiciel de ses appareils Inspire et Phantom de nouvelle génération. Ainsi, lorsqu'un pilote essaie de faire décoller un de ces drones à moins de 1,5 mille d'un aéroport, le GPS interne détecte qu'il se trouve dans une zone interdite de vol, et l'appareil refuse tout simplement de décoller. Si le drone se trouve dans un rayon de plus de 1,5 mille de l'aéroport, mais est quand même en zone risquée, le logiciel se contente d'envoyer un message d'avertissement sur l'écran de contrôle du pilote. Ce mécanisme est basé sur les recommandations américaines. « Le problème, c'est que Transports Canada a fixé à 3 milles aériens (5,56 km) l'interdiction de vol de drones autour des aéroports canadiens. La géolimitation ne suit pas nécessairement les règles de chaque pays », explique Martin Laporte. L'implantation de cette technologie par DJI est par ailleurs volontaire. Aucun autre fabricant ne le fait pour le moment au Canada.

DES USAGES LÉGITIMES PRÈS DES AÉROPORTS

Le projet de loi déposé par Ottawa en juillet dernier, qui interdira explicitement les vols de drones à moins de 3 milles aériens des aéroports, ne fait nulle part mention du géorepérage comme solution de contrôle. DJI s'oppose d'ailleurs à ce que cette technologie soit obligatoire. L'entreprise a enregistré quatre lobbyistes au registre du Commissariat au lobbyisme pour tenter de modifier certaines dispositions du projet de loi. « Il y a, selon nous, plusieurs usages légitimes que des professionnels peuvent faire d'un drone près d'une zone d'exclusion de vol. Il y a, par exemple, des inspecteurs qui s'en servent pour vérifier l'intégrité des pistes d'un aéroport. Bloquer l'usage de leurs drones provoquerait d'autres problèmes. Nous essayons plutôt de trouver un équilibre », affirme Adam Lisberg, porte-parole de DJI. Martin Laporte a lui-même dû multiplier les démarches auprès de DJI pour faire débloquer un de ses appareils lors d'un tournage cinématographique au circuit de courses ICAR, dont une partie empiète sur l'aéroport de Mirabel. « Il a fallu prouver qu'on avait toutes les autorisations de vol nécessaires de Transports Canada. Ils nous ont envoyé une clé de déblocage, qui nous permettait de faire voler le drone temporairement dans ce secteur », explique-t-il. « C'est un système relativement complexe. Si DJI le rend trop restrictif, il va perdre des parts de marché », estime M. Laporte.

UTILISÉ EN SYRIE, EN IRAK ET... CHEZ DONALD TRUMP

Aux États-Unis, le mécanisme de géorepérage s'enclenche également près des prisons, des stades sportifs... et même autour des clubs de golf de Donald Trump, où des zones d'exclusion aériennes temporaires ont été décrétées par les autorités. « J'habite près de New York, à moins de 25 milles d'un terrain de golf appartenant à Donald Trump et moi-même, je n'ai pas pu faire décoller mon drone l'autre jour », illustre le porte-parole de DJI. En avril dernier, DJI a aussi discrètement bloqué l'usage de ses drones grand public au-dessus de grandes portions de la Syrie et de l'Irak, où des appareils modifiés étaient largement utilisés par les djihadistes du groupe armé État islamique pour larguer des grenades sur leurs ennemis. Plusieurs hackers ont cependant publié en ligne des méthodes pour débrider ces appareils.

UNE PRIME DE 145 000 $ EN CHINE

Ni le Bureau de la sécurité des transports, qui n'a toujours pas officiellement déclenché d'enquête, ni le Service de police de la Ville de Québec n'ont retrouvé trace du drone fautif qui a heurté le Air King à Québec. En Chine, lorsqu'un drone a paralysé le trafic aérien de l'aéroport de Chengdu à plusieurs reprises, en avril dernier, en survolant la zone d'interdiction de vol, DJI a offert une prime de 145 000 $ à quiconque fournirait des renseignements qui permettraient de retrouver son pilote. « Nous n'avons même pas la certitude que c'est un drone DJI qui a été utilisé. Si c'est le cas, cela voudrait dire que le pilote a contourné le mécanisme de géorepérage », reconnaît M. Lisberg.