Le crime était terrifiant et avait provoqué une crise dans le système carcéral à l'époque. Hier, 22 ans après les faits, la police de Laval a annoncé avoir finalement attrapé l'homme qui s'était introduit chez un gardien de prison en pleine nuit pour le poignarder dans son sommeil, à l'été 1995. Voici comment.

Le 11 août 1995, dans la nuit, un homme s'introduit chez Jacques Lamoureux, un gardien de la prison de Bordeaux dans la quarantaine, qui habite dans le paisible voisinage de Sainte-Rose, à Laval, avec sa femme bibliothécaire. M. Lamoureux est réveillé par une douleur aiguë à l'abdomen et constate avec horreur qu'on vient de lui planter un couteau dans le ventre. Il a à peine le temps de voir la silhouette d'un homme s'enfuir. Hospitalisé aux soins intensifs, il survit de justesse, mais doit subir une délicate intervention chirurgicale. On lui enlève la rate et lui répare les intestins.

Pourquoi lui?

Les collègues de Jacques Lamoureux confient alors aux médias qu'il avait reçu des menaces d'un détenu au travail après avoir découvert que ce dernier fabriquait de l'alcool artisanal. «À première vue, il ne semble pas y avoir eu de vol. Il est bien évident que nous cherchons du côté de la prison de Bordeaux», confie alors à La Presse le lieutenant-détective Serge Jacques, de la police de Laval.

Quel a été l'impact de ce crime à l'époque?

La tension avait grimpé à la prison. Le syndicat des gardiens parlait d'intimidation. Même le directeur de l'établissement craignait une campagne des motards pour faire peur au personnel afin de pouvoir vendre de la drogue plus librement entre les murs. Des bagarres avaient éclaté entre détenus et gardiens. Les employés de la prison menaçaient de cesser plusieurs services par crainte d'être attaqués. Le conseil des services essentiels s'en était mêlé. Des négociations avec le gouvernement avaient mené à des réinvestissements et à un rehaussement des mesures de sécurité.

Pourquoi une si longue enquête?

Aucun suspect n'avait été identifié à l'époque. L'analyse de l'ADN pour prouver la présence d'une personne sur les lieux d'un crime était alors une technique récente, moins perfectionnée qu'aujourd'hui. Surtout, il n'existait pas de banque nationale de profils d'ADN qui permettait de comparer un profil obtenu avec celui de criminels déjà connus, a expliqué hier la police de Laval.

Comment le dossier a-t-il débloqué?

Récemment, Sylvain Belisle, multirécidiviste de 50 ans habitué des introductions par effraction, a été de nouveau condamné à une peine de détention pour des crimes commis dans la grande région métropolitaine. Le juge a ordonné qu'on prélève un échantillon de son ADN afin d'ajouter son profil à la Banque nationale de données génétiques, gérée par la GRC à Ottawa. En date d'aujourd'hui, la Banque compte 483 143 profils génétiques de personnes qui sont toutes liées à des crimes passés. Les policiers vérifient souvent auprès de cette banque si de nouveaux profils ajoutés correspondent à l'ADN retrouvé sur des scènes de vieux crimes non résolus.

Récemment, la police de Laval a obtenu une correspondance avec Sylvain Belisle pour la tentative de meurtre visant Jacques Lamoureux. Comme le suspect était déjà en prison, il a été facile à cueillir. Il a été accusé cette semaine de tentative de meurtre, voies de fait graves et introduction par effraction.

Que sait-on du suspect?

Peu de chose. Il ne semble pas avoir fourni d'explications jusqu'ici. «À l'époque, l'hypothèse était que la victime avait été visée à cause de son emploi, mais pour le moment nous ne pouvons pas dire avec certitude le motif», a expliqué hier la sergente Geneviève Major, porte-parole du corps policier.

L'enquêteur qui était responsable du dossier à l'époque est maintenant retraité, mais il a été avisé du dénouement de son enquête hier. Quant à Jacques Lamoureux, lui aussi à la retraite, il s'est dit très content de l'arrestation de son agresseur lorsque la police l'a joint, selon la sergente Major.