Des policiers qui saisissent des messages textes peuvent, dans certains cas, violer le droit constitutionnel à la protection contre les fouilles abusives - car les Canadiens peuvent «raisonnablement» s'attendre à ce que leurs échanges de textos demeurent privés.

C'est ce qu'a déterminé vendredi la Cour suprême du Canada dans une décision partagée de cinq juges contre deux dans laquelle la dissidence des deux juges, dont la Québécoise Suzanne Côté, est très nette.

«Certains messages textes envoyés et reçus peuvent susciter une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée et, par conséquent, bénéficier de la protection qu'offre l'article 8» de la Charte canadienne des droits et libertés, a tranché la majorité.

La cause sur laquelle s'est penché le plus haut tribunal au pays concerne un homme qui avait été reconnu coupable d'opérations illégales impliquant des armes à feu. À son procès, des textos incriminants saisis dans le téléphone de son complice avaient été présentés.

L'individu avait été reconnu coupable, mais il a contesté jusqu'en Cour suprême le dépôt des textos comme éléments de preuve en vertu de l'article 8 de la Charte, qui garantit que «chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives».

La Cour suprême a donné raison à l'appelant, Nour Marakah. Car ce dernier «s'attendait subjectivement à ce que cette conversation électronique demeure privée», peut-on lire dans un arrêt signé par la juge en chef Beverley McLachlin au nom de la majorité.

Et comme cette attente «était objectivement raisonnable», la fouille ayant permis d'obtenir l'échange de textos compromettant était donc «abusive» en vertu de la Charte, ont statué les juges de la majorité.

Les verdicts de culpabilité de l'Ontarien ont ainsi été annulés, la Cour suprême statuant que les policiers auraient dû avoir en leur possession un mandat pour fouiller dans le téléphone cellulaire du complice - les textos incriminants n'auraient donc pas fait partie de la preuve au procès.

La juge en chef insiste sur le fait que le raisonnement de cet arrêt ne s'applique pas dans toutes les circonstances. Dans ce cas particulier, Nour Marakah avait certes «accepté de courir le risque que M. Winchester les divulgue à des tiers».

Mais «accepter le risque qu'un interlocuteur divulgue une conversation électronique ne revient pas à accepter le risque différent que l'État s'immisce dans une conversation électronique non divulguée» et ses droits constitutionnels, a expliqué la magistrate.

Elle insiste par ailleurs sur le fait que sa position «ne mène pas non plus forcément à la conclusion selon laquelle les messages textes envoyés par des prédateurs sexuels à des enfants ou par des personnes violentes à leur conjoint ne seront pas admis en preuve».

Dissidence

Les deux juges dissidents, Suzanne Côté et Michael Moldaver, ne partagent pas la lecture de leurs collègues de banc à plusieurs égards.

Ils sont d'avis que l'interprétation «très large» de l'article 8 «comporte son lot de conséquences prévisibles qui compliqueront et prolongeront les procès criminels, en plus d'exercer des pressions encore plus fortes sur un système de justice pénale déjà surchargé».

«Pire encore, étendre l'éventail des personnes habiles à présenter une contestation fondée sur l'article 8 risque de perturber l'équilibre délicat que cet article vise à atteindre entre le droit au respect de la vie privée et l'intérêt à appliquer la loi», écrit le juge Moldaver.

Décision Telus

Le plus haut tribunal au pays a également rendu vendredi une décision dans une autre cause concernant le caractère privé des textos, celle-là impliquant le réseau Telus.

Dans cette décision partagée de six juges contre un, la Cour suprême en est venue à la même conclusion concernant le droit raisonnable à la vie privée, mais dans ce cas précis, les juges ont déterminé que la saisie des textos de l'appelant sur un serveur de Telus ne contrevenait pas à l'article 8.