Le conducteur accusé d’avoir tué la piétonne Fabienne Houde-Bastien, en mai dernier, en brûlant un feu rouge, avait un taux d’alcool presque trois fois plus élevé que la limite permise. Malgré les accusations « gravissimes », son « mépris des autorités » et ses 40 constats d’infraction, Vi Trung Ngo a été libéré sous conditions.

21 mai 2023. Après une soirée entre amis, Fabienne Houde-Bastien marche sur le boulevard Saint-Laurent jusque chez elle. Il est passé 3 h du matin. La jeune trentenaire s’engage dans la rue Jean-Talon. Il n’y a personne en vue.

PHOTO FOURNIE PAR LA FAMILLE

Fabienne Houde-Bastien

Soudain, l’horreur.

Un chauffard arrive à grande vitesse sur Jean-Talon, brûle son feu et percute de plein fouet un VUS qui roulait sur Saint-Laurent. L’impact est si violent que le véhicule heurté fait un tonneau et se renverse sur la jeune femme. Tout se déroule en un clin d’œil. Fabienne Houde-Bastien n’a aucune chance.

« Ce sont des images particulièrement saisissantes et difficiles à regarder », résume le juge Pierre Dupras.

En effet, les images sont insoutenables. Pour démontrer la gravité des accusations, nous avons choisi de montrer en partie la scène, mais en retirant les secondes fatidiques.

L’enquête sur remise en liberté de Vi Trung Ngo, qui s’est déroulée en juin dernier au palais de justice de Montréal, a permis de révéler de nouveaux détails sur cette affaire qui avait choqué le public. Le garagiste de 47 ans est accusé d’avoir blessé un homme et d’avoir tué Fabienne Houde-Bastien en conduisant avec les facultés affaiblies et avec une alcoolémie trop élevée.

Vi Trung Ngo présentait cette nuit-là une alcoolémie de 0,213 (213 milligrammes par 100 millilitres de sang), soit presque trois fois la limite légale de 0,08. Un taux « excessivement élevé », a fait valoir la procureure de la Couronne MMarie-Laurence Maisonneuve, le 15 juin dernier.

Les policiers, arrivés extrêmement rapidement sur place, ont constaté plusieurs signes d’intoxication : forte odeur d’alcool, perte d’équilibre, yeux vitreux. Vi Trung Ngo s’est aussi montré agressif. « Jamais », a souligné la Couronne, le chauffard ne s’est enquis de l’état des blessés. Pourtant, une jeune femme était morte et le conducteur de l’autre véhicule était amoché.

De plus, cette nuit-là, il conduisait le véhicule d’un de ses clients, apparemment sans son autorisation. Il est d’ailleurs accusé à ce sujet.

Nombreux antécédents

Propriétaire du garage Auto Vi dans Rosemont, Vi Trung Ngo est un incorrigible de la route. Il a reçu pas moins de 40 constats d’infraction, dont 4 fois avec un cellulaire en main, 2 fois pour un feu rouge brûlé et 5 fois sans permis de conduire.

Ça montre le portrait de quelqu’un qui n’apprend pas de ses erreurs. Quand ça fait cinq [constats reçus sans permis de conduire], ça devient préoccupant.

MMarie-Laurence Maisonneuve, procureure de la Couronne

Un mois avant la collision, Vi Trung Ngo a heurté un véhicule à basse vitesse devant des policiers. Il a alors tenté de se « défiler » en faisant croire aux policiers que son employé était propriétaire du véhicule heurté, ce qui était faux, selon la Couronne.

« Ça peint le portrait d’une personne qui est prête à induire les forces de l’ordre en erreur pour éviter les conséquences de ses gestes », a insisté MMaisonneuve.

Et cela, sans compter ses antécédents criminels de non-respect des conditions et de supposition de personne, et le fait qu’il ait « subtilisé » le véhicule d’un client la nuit du crime, expose la Couronne.

C’est notamment pour ces raisons que la poursuite réclamait que Vi Trung Ngo demeure détenu pendant les procédures judiciaires. Selon MMaisonneuve, libérer un homme qui a montré autant de « mépris pour les autorités et la sécurité du public » ferait perdre au public sa confiance envers la justice.

Or, le juge Dupras n’était pas de cet avis. À ses yeux, il n’est pas nécessaire de détenir Vi Trung Ngo pour assurer la sécurité du public et pour maintenir la confiance de la population envers la justice.

Thérapie fermée

Selon le juge, l’accusé a toujours travaillé et ses antécédents ne sont pas « lourds ». Et surtout, il souhaite faire une thérapie pour cesser de consommer de l’alcool. Ainsi, Vi Trung Ngo devra passer six mois en thérapie fermée.

Pourtant loin de se déclarer alcoolique, Vi Trung Ngo a résumé sa consommation comme étant seulement « sociale ». « C’est quand je vois des amis. Mais quand je reste à la maison, non », a-t-il témoigné. Néanmoins, il assure ne plus vouloir boire.

Depuis que c’est arrivé, je me sens mal. Je veux arrêter cette connerie-là [l’alcool]. Je ne veux plus toucher à ça. Je veux changer.

L’accusé Vi Trung Ngo

« On réalise que Monsieur n’a pas de problème d’alcool. Alors pourquoi le soumettre à une thérapie fermée ? », s’est interrogée la procureure de la Couronne.

Selon la défense, Vi Trung Ngo n’a peut-être pas un « gros problème d’alcool », mais il présente un « début de reconnaissance » et veut « guérir sa problématique ».

Si le juge estime que la probabilité de condamnation est « très importante », la défense tient un autre discours. « Des arguments très puissants seront soumis. Il y a clairement eu des violations très flagrantes à la Charte canadienne par les policiers », a plaidé MRoberto Fragasso.

Une fois sorti de sa thérapie, Vi Trung Ngo pourra travailler dans son garage. Le juge lui a toutefois strictement interdit de conduire un véhicule, et même d’en déplacer un dans son garage.