Afin de commémorer le meurtre d’une travailleuse du sexe survenu il y a un an et exiger des autorités une plus grande attention à leur égard, le militant Marc-Boris St-Maurice, a déversé « entre 3000 et 4000 livres » de fumier devant le magasin Fairmount Bagel dans le Mile End samedi midi.

Son geste d’éclat a toutefois suscité peu de réactions. L’attitude des passants, très nombreux à déambuler sur la rue Fairmount en ce samedi radieux, oscillait entre l’indifférence et l’impression d’une simple livraison de terre. Peut-être parce que le fumier en question était inodore.

« C’est le fils [Daniel Shlafman, NDLR] du propriétaire du Fairmount Bagel qui a assassiné cette travailleuse du sexe le 5 novembre 2021 avant de s’enlever la vie, a rappelé M. St-Maurice en entrevue avec La Presse. Il est important de se souvenir de cet évènement dont on a peu entendu parler. On doit rappeler ce meurtre pour dire que les lois interdisant le travail du sexe mettent en danger la santé, la sécurité et la vie de ces femmes. »

À la suite de ce meurtre suivi du suicide de Daniel Shlafman, 31 ans, les travailleuses du sexe avaient effectivement réagi à cette histoire en exprimant des sentiments de tristesse, mais aussi de peur. « Il y a des femmes qui avaient décidé d’arrêter de le (M. Shlafman) voir, et peu de temps après, il a commis ce meurtre », avait alors déclaré Sandra Wesley, directrice générale de Stella Montréal.

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M. St-Maurice, qui s’identifie lui-même comme client « qui paie pour des services sexuels », a ajouté qu’il lui était important de faire ce rappel.

« Les gens connaissent tous une travailleuse du sexe autour d’eux. On ne le sait peut-être juste pas, a-t-il ajouté. Ça peut être une voisine, une cousine, une amie. Ces femmes-là doivent vivre dans la honte et l’anonymat. Cela les met à risque et cela a besoin d’être dénoncé. »

Mais visait-il à la bonne place ? « Ce ne sont pas les personnes qui sont visées, mais un symbole du problème, a-t-il poursuivi. L’idée est d’attirer l’attention sur cette cause. Évidemment, comme c’est ici que le crime a eu lieu, dans l’appartement connecté par la ruelle, je trouve qu’il était approprié de poser le geste là où cette femme est morte. On vise moins la personne qui a fait le crime que le lieu où le décès a eu lieu. »

Les passants interviewés par La Presse étaient néanmoins très sceptiques face au geste posé et au lieu choisi.

« Si c’était sa fille… mais ce n’est pas sa fille, a dit Frank, un résidant du quartier. J’ai de la peine pour les parents et j’aurais aimé les rencontrer. Mais cela mis à part ça, j’ai perdu une place de stationnement. C’est comme ça que je vois les choses. »

PHOTO DENIS GERMAIN, LA PRESSE

Le geste d’éclat a suscité peu de réactions parmi les passants. Leur attitude allait de l’indifférence à l’impression d’une simple livraison de terre. M. St-Maurice est demeuré un moment sur place pour expliquer aux gens la nature de son geste qu’il qualifie lui-même de « désobéissance civile ».

D’autres passants nous ont dit que le propriétaire de Fairmount Bagel n’avait rien à voir avec le meurtre commis par son fils et qu’il n’avait pas à être puni de la sorte.

M. St-Maurice a lui-même fait le constat de ce manque d’intérêt. « Ce qui me déçoit le plus est que les gens ont tellement l’air à s’en foutre, nous a-t-il dit. Même en “dompant” un gros tas de merde sur le perron, ils passent comme si de rien n’était. C’est représentatif de l’attitude qu’on a envers les travailleuses du sexe. »

L’opération de M. St-Maurice s’est déroulée en moins de huit minutes. À 12 h 01, il est arrivé en face du magasin dans une camionnette blanc 4x4 tirant une remorque et conduite par un chauffeur embauché pour l’occasion. Les deux hommes, dossards orange sur le dos, sont sortis et ont déversé le fumier, « trouvé sur Kijiji » selon l’auteur de l’acte.

Pendant que le camion s’éloignait, M. St-Maurice a pris la parole dans les deux langues officielles, d’abord en anglais puis en français, et est resté sur place pour discuter avec les passants. Il faut dire que le quartier est très anglophone et attire des touristes de l’extérieur. D’ailleurs, quelques New-Yorkais de passage s’engouffraient dans le magasin au moment du coup d’éclat.

À l’intérieur de chez Fairmount Bagel, la demi-douzaine d’employés n’ont même pas remarqué la manœuvre. À la demande de La Presse, boulanger en devoir est sorti de l’arrière-boutique pour s’enquérir de ce qui se passait. Lorsque nous lui avons donné quelques détails, il n’a pas voulu faire de commentaire, retournant prestement à ses fournées de bagels.