Un mois avant que ses trois filles et sa première femme périssent noyées à Kingston, Mohammad Shafia planifiait de tendre un piège à sa fille aînée, Zainab, pour l'attirer dans un pays d'Europe afin de l'y noyer.

C'est du moins ce qu'un homme originaire de l'Afghanistan, qui vit maintenant dans ce pays d'Europe, a raconté, hier, au procès du couple Shafia et de leur fils aîné, Hamed, accusés de quatre meurtres prémédités. Un interdit de publication protège l'identité de ce témoin jusqu'à la fin de son témoignage. Pour le moment, on peut seulement dire qu'il s'agit d'un membre de la famille. Cet homme a raconté avoir assisté au mariage de Mohammad Shafia et de sa femme Tooba en Afghanistan, vers la fin des années 80. Tout le monde savait que Mohammad était déjà marié. Il a pris une seconde femme parce que la première, Rona Amir Mohammad, ne pouvait avoir d'enfants. Rona elle-même a assisté au second mariage de son mari, qui s'est déroulé comme le sien à l'hôtel Intercontinental de Kaboul.

La fuite

En 1992, le témoin a fui l'Afghanistan et est allé vivre au Pakistan, tout comme la famille Shafia. Il y a une quinzaine d'années, le témoin s'est établi en Europe, tandis que la famille Shafia s'est installée à Dubaï. Pendant des années, le témoin n'a pas vraiment eu de contacts avec la famille Shafia, car, dit-il, Mohammad interdisait à Tooba d'avoir des contacts extérieurs. Les contacts ont toutefois repris après l'arrivée des Shafia à Montréal, en 2007.

En fait, en 2009, Tooba a appelé ce témoin pour lui parler des problèmes qu'elle éprouvait avec sa fille aînée, Zainab, qui voulait épouser un Montréalais d'origine pakistanaise. Tooba a demandé au témoin de convaincre la jeune femme de 19 ans de ne pas se marier. Le témoin a parlé deux fois avec Zainab, en avril 2009, et peut-être aussi en mai, au téléphone et par vidéoconférence sur l'internet.

Selon le témoin, Zainab était bien décidée à se marier, car elle voulait fuir la maison familiale de Saint-Léonard. Elle voulait vivre à l'occidentale, ne pas porter le voile, s'habiller et se coiffer comme il lui plaisait, fréquenter des amis, aller à la bibliothèque, alors que toutes ces choses lui étaient interdites par son père. Mohammad Shafia envisageait aussi de marier Zainab à un de ses neveux. Quand Mohammad était à Dubaï pour affaires, il chargeait son fils Hamed de surveiller sa soeur. «Elle m'a dit qu'elle haïssait son père», a raconté le témoin.

Le plan

On sait que le mariage avec le garçon originaire du Pakistan a été célébré le 18 mai à Montréal, mais qu'il a été annulé le lendemain, sans avoir été consommé. Le témoin affirme qu'à un certain moment, il a appelé Mohammad à Dubaï pour lui parler de Zainab. C'est à ce moment que Mohammad lui aurait fait part de son plan pour tuer Zainab. «Il m'a dit d'inviter Tooba, Zainab et [une autre enfant de la famille] à venir» dans ce pays d'Europe qu'on ne peut nommer pour le moment. Pendant le séjour, l'homme devait inviter Mohammad à les rejoindre. Le groupe partirait en pique-nique pour faire un barbecue au bord de l'eau, et Mohammad en profiterait pour noyer sa fille. Pendant cet entretien, Mohammad a traité sa fille Zainab de prostituée et de putain, choses qui ne se font pas en Afghanistan, surtout pour parler de sa propre fille, a expliqué le témoin.

L'homme affirme avoir été très fâché des propos de Mohammad. «J'ai juré contre lui et j'ai raccroché», a-t-il dit. Il raconte qu'il a ensuite fait part des sombres projets de Mohammad à Tooba, ainsi qu'à un autre membre de la famille qui vit à Montréal. Il soutient avoir conseillé à Tooba de ne pas partir en voyage avec Mohammad et leurs filles, et même d'appeler la police et les services sociaux si un tel projet se présentait. Selon son souvenir, Tooba l'a remercié pour l'information.

Or, vers la fin du mois de juin, ce témoin a appris que toute la famille était partie à Niagara Falls. Les propos de Mohammad ont déroulé comme un film dans sa tête. Le témoin n'a pas appelé la police, mais il a consulté un psychologue.

En contre-interrogatoire, Me Peter Kemp, avocat de Mohammad Shafia, a demandé au témoin pourquoi son client aurait voulu tuer les quatre femmes qui ont été trouvées mortes dans l'écluse. «Il voulait tuer Zainab parce qu'elle lui désobéissait et montrait le mauvais exemple aux autres, et les autres ont été tuées parce qu'elles auraient pu parler», a résumé le témoin.