Parce qu'elle «se laissait faire», l'adjudant André Gagnon aurait exploité l'ex-caporale Stéphanie Raymond comme un «bar ouvert» pour assouvir ses pulsions sexuelles.

La poursuite a défendu cette thèse, vendredi, au cinquième jour du procès de Gagnon pour agression sexuelle en cour martiale générale à Québec.

L'avocate Marylène Trudel a fait passer un dur moment à l'accusé pendant son contre-interrogatoire de deux heures. Elle a pilonné son témoignage et sa prétention selon laquelle la présumée victime a elle-même initié les échanges sexuels, le 15 décembre 2011 au manège militaire de Lévis, au retour d'un dîner de Noël où l'alcool coulait à flots.

En outre, la poursuite a fait admettre à Gagnon que la plaignante n'avait posé aucun geste de nature sexuelle à son endroit pendant qu'il la touchait, la couvrait de baisers et la déshabillait dans une salle de réunion obscure de l'étage du manège.

Elle a également fait reconnaître à l'accusé qu'il n'y avait pas eu de flirt ou de tentative de séduction de la part de Mme Raymond à son égard dans les heures précédant les événements.

L'accusé martèle que la présumée victime était consentante à se livrer à des jeux sexuels puisqu'elle a accepté de le suivre jusqu'au manège, qu'elle a répondu positivement à sa suggestion de monter à l'étage et que par la suite, elle «s'est laissée faire».

L'argument du «laisser-faire» a été démoli par la procureure Trudel.

«Pour vous une femme doit résister si elle ne veut pas avoir une relation sexuelle?», a-t-elle lancé, avant d'ajouter, «du moment qu'elle se laisse faire, c'est «open bar» pour vous?».

Gagnon prétend que la plaignante a accepté de son plein gré de le rejoindre à l'étage où il était monté s'asseoir sur le sol pour, selon ses dires, «relaxer et dégriser». Il aurait tendu la main à la présumée victime pour qu'elle s'installe à ses côtés mais, à sa grande surprise, elle se serait assise sur lui à califourchon à hauteur de ses organes génitaux.

Âgé de 48 ans, Gagnon soutient que jusque-là, il n'éprouvait aucun désir pour la femme de 30 ans. Mais à «force de parler», il y aurait eu un rapprochement. Il a mis ses mains dans son chandail, l'a embrassée - mais pas avec la langue, a-t-il pris soin de préciser - a caressé ses seins, l'a déshabillée presque toute nue et s'est livré à une séance de sexe oral. Pendant tout ce temps, Mme Raymond est demeurée passive et n'a retourné aucune de ses faveurs sexuelles.

«Un morceau de bois sur le plancher, ce n'était pas plate?», a demandé la procureure au témoin, qui est resté le regard fixe droit devant lui pendant la majeure partie du contre-interrogatoire.

«Je ne savais pas quel genre de femme c'était», a-t-il répliqué.

Gagnon a néanmoins pensé, après les préliminaires à sens unique, que l'ex-réserviste voulait «peut-être aller plus loin».

L'accusé a tenté de prendre la plaignante par derrière et c'est à ce moment qu'elle a protesté et que les échanges ont pris fin.

«Vous ne lui avez pas demandé si c'était correct de la pénétrer?», a soulevé l'avocate.

Gagnon a répondu qu'il avait présumé que Mme Raymond était d'accord, compte tenu du «stade où elle était rendue».

Dans son témoignage, il y a quelques jours, la plaignante a raconté que Gagnon lui avait intimé l'ordre de monter à l'étage peu après leur arrivée au manège. Elle n'a guère opposé de résistance aux gestes posés par Gagnon parce qu'il était son supérieur en grade et qu'elle ne voulait pas le mettre en colère. Elle voulait aussi s'épargner des ennuis au travail et emballer «la machine à rumeurs». Elle s'est rebellée lorsque Gagnon a voulu s'engager dans une relation sexuelle complète.

La poursuite allègue de son côté que l'adjudant Gagnon a profité de son rang hiérarchique supérieur pour abuser de l'ex-caporale et l'agresser sexuellement.

La passivité de la jeune femme, jusqu'au moment où elle a repoussé la tentative de pénétration, s'expliquerait par la culture du respect de l'ordre hiérarchique, une culture bien ancrée chez les militaires même en contexte civil.

Le contre-interrogatoire de l'accusé a pris fin vendredi midi et le procès reprendra lundi avec les plaidoiries de la défense et de la poursuite. Le sort de l'adjudant Gagnon reposera alors entre les mains du comité de cinq militaires faisant office de jury.

S'il est reconnu coupable, Gagnon risque une peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à dix ans.

PHOTO CLÉMENT ALLARD, LA PRESSE CANADIENNE

Stéphanie Raymond