Le père de Merouane Ghalmi n'a fait ni une ni deux. Lorsqu'il a appris que son fils avait quitté la résidence familiale de Pierrefonds à destination de la Turquie, il s'est arrangé pour le faire arrêter par la police turque. Puis il a sauté lui-même dans un avion pour aller le retrouver dans les geôles anatoliennes et le ramener coûte que coûte à la maison.

C'était en juillet 2013. À l'époque, Merouane Ghalmi était âgé de 21 ans. Adepte de sports de combat, il avait commencé à développer une ferveur religieuse intransigeante qui inquiétait ses proches. Il se renseignait sur des groupes islamistes, ne buvait plus, ne sortait plus avec des filles.

Surtout, il passait des heures à discuter sur Skype avec Sami Elabi, un autre jeune du quartier qui était l'un des premiers Québécois à être partis rejoindre des groupes djihadistes en Syrie. Elabi avait invité Merouane Ghalmi à venir le rejoindre.

La famille Ghalmi soupçonnait ce qui se passait. Le récit de ses efforts est contenu dans deux déclarations assermentées de la GRC rendues publiques hier à la suite des démarches d'un groupe de médias, dont La Presse. Les documents avaient été présentés à un juge l'an dernier pour justifier l'imposition de conditions qui visaient à garder sous surveillance Ghalmi et un de ses amis, Daniel Minta Darko, en raison de leurs sympathies envers des groupes terroristes.

Lorsque le père de Ghalmi a contacté la police turque, il lui a expliqué qu'il craignait que son fils ne traverse la frontière pour entrer en Syrie et rejoindre les combattants islamistes. Les autorités turques ont localisé le jeune Montréalais et l'ont placé en détention à Adana, tout près de la frontière syrienne, jusqu'à ce que son père vienne le chercher et le ramène à Montréal.

«Suite à cette première tentative, les parents de Ghalmi ont caché ses passeports (canadien et algérien), craignant qu'il ne quitte à nouveau.» - Extrait du document de la GRC

Un peu plus tard, le frère du jeune voyageur se confierait aux policiers. Il n'était pas dupe. Il s'est dit convaincu que celui-ci se rendait là-bas pour rejoindre un groupe.

Merouane Ghalmi a semblé s'être assagi pendant un an et demi après son retour. Son père veillait tout de même au grain: il avait à nouveau caché son passeport pour éviter qu'il ne quitte le Québec.

Le jeune homme étudiait en génie à l'École de technologie supérieure. Puis, au début du mois de janvier 2015, il a appris qu'il ne pourrait pas continuer dans son programme universitaire, car ses notes étaient trop faibles.

Le 15 janvier, en fouillant dans les papiers de ses parents, il a retrouvé ses passeports. Deux jours plus tard, il contactait son ami Daniel Minta Darko, un autre jeune aux idées religieuses extrémistes, pour lui demander s'il souhaitait partir avec lui vers la Syrie. Le 19, leurs billets étaient achetés.

Deux jours plus tard, ils ont quitté Montréal vers Toronto, puis Hong Kong et Kuala Lumpur en Malaisie, d'où ils projetaient acheter leur billet vers la Turquie. Un chemin volontairement compliqué, «pour brouiller les cartes», avouera Ghalmi plus tard.

«Les démarches sont subites, expéditives, et ont été entreprises à l'insu de sa famille. Les enquêteurs de la GRC ont constaté ce même type de modus operandi chez d'autres individus qui ont quitté le Canada depuis le mois de novembre 2014 pour aller combattre en Syrie», lit-on dans la déclaration assermentée.

La soeur appelle la police

Dès le lendemain du départ de Ghalmi, sa soeur a téléphoné à la GRC pour rapporter sa disparition. « Elle craignait que son frère soit allé combattre en Syrie et qu'il s'agisse de sa seconde tentative pour s'y rendre », précise la police dans son résumé.

Le père a ensuite accepté de fournir une déclaration enregistrée sur vidéo aux enquêteurs pour discuter de ses «sérieuses craintes quant aux intentions de son fils», en sachant très bien que ses propos pourraient être utilisés comme preuve dans un procès criminel contre son garçon. Mais mieux valait le voir se faire arrêter que le laisser mettre ses plans en application.

«Merouane veut se rendre en Syrie et c'est certain que ce n'est pas pour faire du travail humanitaire. Du travail humanitaire, je n'en crois pas un mot.» - Extrait de la déclaration vidéo fournie par le père de Merouane Ghalmi

À leur arrivée à Istanbul, Ghalmi et Darko ont toutefois été interdits d'entrée et refoulés vers la Malaisie. Ils sont restés à l'aéroport quelque temps puis sont rentrés à Montréal le 3 février, où ils ont été immédiatement arrêtés par la GRC, qui a entrepris des démarches pour leur imposer un engagement à garder la paix.

Après le retour des deux voyageurs au pays, les policiers les ont pris en filature et ont constaté qu'ils se rendaient à la mosquée Assahaba, où prêche le prédicateur Adil Charkaoui, un endroit fréquenté par plusieurs jeunes qui sont partis ou ont tenté de partir vers la Syrie.

Joint hier soir au téléphone, Adil Charkaoui n'a ni infirmé ni confirmé connaître Merouane Ghalmi ou l'avoir déjà aperçu dans sa mosquée. «Je ne sais pas vraiment de quoi vous parlez. [...] Nous n'avons pas de portier devant nos portes pour savoir qui rentre dans les centres», a-t-il lancé, avant de mettre fin brusquement à l'appel.

Darko, qui n'avait que 150 $ en poche à son retour, s'est montré peu loquace avec les enquêteurs, même lorsqu'ils l'ont confronté sur les images de propagande djihadiste trouvées sur son téléphone. Ses parents, eux, n'arrivaient même pas à croire qu'il avait tenté d'entrer en Turquie.

Ghalmi, lui, était plus loquace. Il a bien expliqué sa philosophie islamiste aux policiers. Il a dit ouvertement qu'il se sentait jugé à Montréal à cause de son allure et son mode de vie. Il disait vouloir vivre en «terre musulmane» et a évoqué l'idée de retourner vivre en Algérie, le pays d'origine de ses parents. Il a pointé sur une carte les emplacements de tous les groupes qui combattent en Syrie et a expliqué avoir des connaissances sur les réseaux clandestins qui peuvent faire traverser la frontière syrienne. Il disait aussi avoir des contacts en Turquie et en Syrie qui l'informaient de la situation sur le terrain.

Sur son ordinateur, les policiers ont trouvé des images et des enregistrements de chants liés au djihad, au groupe armé État islamique, ainsi qu'à un autre groupe armé salafiste syrien, Ahrar al-Sham. Ghalmi a expliqué que ce dernier groupe était le plus près de sa philosophie, car il était contre la démocratie sans être «ni trop de droite ni trop de gauche».

Les policiers lui ont expliqué leur théorie selon laquelle son but était d'aller mourir en martyr en Syrie. Il a qualifié cette thèse de «possible, logique, vraisemblable».

Il a affirmé qu'il serait vain pour les autorités de lui confisquer son passeport ou de l'ajouter sur une liste d'interdiction de vol.

«Je ne le serai pas pour 50 ans (sur la liste). Je finirai par partir», a-t-il assuré.

- Avec la collaboration de Louis-Samuel Perron

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LE GROUPE AHRAR AL-SHAM

Selon les analystes de la GRC, le groupe dont Merouane Ghalmi disait partager la philosophie est un regroupement d'islamistes et de salafistes qui se consacre entièrement au combat armé en Syrie et qui serait l'un des groupes «les plus extrêmes» à combattre le régime de Bashar al-Asad. Ahrar al-Sham aurait participé à des massacres à motivation religieuse et se serait coordonné avec les groupes al-Qaïda, Jabhat al-Nosra et l'État islamique pour cesser les combats fratricides et se concentrer sur le régime à abattre.

Ce qu'a dit Ghalmi aux autorités

REFUS DES CONCESSIONS

« Je n'en ai pas mal rien à foutre du Nord-Américain... Tu peux pas mélanger l'huile et le vinaigre. L'islam en Occident ça marche si tu fais des concessions... Moi je veux pas faire des concessions : exemple, dire à ton boss que tu dois prier le vendredi. »

« LÀ-BAS C'EST MIEUX »

« Je chasse pas deux objectifs en même temps. Le plus important c'est ta relation avec Allah et avoir la paix d'esprit. J'ai vécu ici, j'ai vécu là-bas... là-bas c'est mieux. »

AIDER AVEC DES ARMES

« Ils ont le droit de se défendre. Un bon musulman doit aider. Si quelqu'un a faim, tu lui donnes de la nourriture. Si quelqu'un doit être protégé, tu dois le défendre. Un bon musulman a des responsabilités d'aider ses frères de n'importe quelle façon possible, avec des armes si ça doit se faire. »

MOURIR EN MARTYR

« La meilleure mort c'est la mort du martyr. Même si les gens pensent que c'est des criminels, pour moi c'est pas des criminels des personnes qui défendaient les plus faibles. Ils n'ont pas abandonné le peuple syrien. Des gens qui sont morts pour une bonne cause, qui sont morts en défendant les plus faibles. »

LA DÉMOCRATIE

« Personnellement, je ne supporte pas un groupe qui est pro démocrate. Dans un pays où vivent les musulmans, il ne doit pas y avoir la démocratie, car la démocratie est la loi de l'homme. »