La police a dû changer ses pratiques de filature depuis la mort du petit Nicholas Thorne-Bélance, tué l'an dernier par un véhicule de la Sûreté du Québec qui roulait à plus de 70 km/h au-dessus de la limite permise, a appris La Presse. Le policier qui était au volant, Patrick Ouellet, est présentement suspendu avec solde.

Il y a six mois, Martin Prud'homme, le directeur général de la Sûreté du Québec, a chargé un comité spécial de se pencher sur les façons de faire de ses agents filateurs dans la foulée du décès tragique du garçon de 5 ans, mort dans un accident alors que son père l'emmenait à la garderie.

Selon nos informations, à peine un mois plus tard, le comité a déposé à l'état-major de la SQ plus d'une dizaine de recommandations concernant la formation des policiers, la manière de prioriser les dossiers de filature et les techniques utilisées sur la route.

Le capitaine Jean Finet, responsable des communications, indique que toutes les recommandations ont été adoptées par le corps de police et sont déjà en vigueur dans certaines régions du Québec.

Le porte-parole a refusé de donner les détails des changements apportés afin de ne pas dévoiler les astuces de ses agents aux criminels qu'ils traquent. On parle toutefois d'améliorations à la formation, qui est obligatoire pour tous les policiers qui font de la filature, de nouvelles lignes directrices pour aider les policiers à décider quels cas doivent être traités en priorité et l'ajout de nouvelles techniques, dont certaines seraient actuellement à l'essai.

«L'objectif est que le travail soit aussi efficace tout en étant sécuritaire», explique le capitaine Finet.

Ces changements pourraient également avoir des répercussions dans les pratiques de filature utilisées par les autres corps policiers québécois.

Le policier sera accusé

Hier, le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé que des accusations de conduite dangereuse ayant causé la mort, pour lesquelles la peine peut atteindre 14 ans d'emprisonnement, seront déposées contre l'agent Ouellet.

Rappelons que le DPCP avait initialement décidé, au terme de neuf mois d'enquête, de ne pas porter d'accusations contre le conducteur, reprochant plutôt au père du bambin d'avoir fait une manoeuvre dangereuse.

En novembre, des révélations de La Presse selon lesquelles l'homme roulait à 122 km/h dans une zone de 50 au moment de l'impact, alors qu'il participait à une filature menée dans le cadre d'une enquête de l'Unité permanente anticorruption (UPAC), ont forcé la tenue d'une nouvelle enquête.

Fait rarissime, c'est la ministre de la Justice Stéphanie Vallée en personne qui avait mandaté des procureurs indépendants. Ces derniers ont remis leur rapport la semaine dernière, dans lequel ils recommandent le dépôt d'accusations criminelles à l'endroit du policier. Le DPCP a décidé de suivre cette recommandation.

Les trois procureurs, soit le juge à la retraite de la Cour d'appel du Québec Pierre J. Dalphond, qui présidait le comité, l'avocate Lucie Joncas et Me Guy Loisel, procureur aux poursuites criminelles et pénales, sont unanimes dans leurs recommandations.

Ils ont demandé des compléments d'enquête dans le cadre de leur travail.

Patrick Ouellet comparaîtra par voie de sommation devant un juge à Longueuil le 26 juin. Les détails de l'affaire ne seront pas dévoilés publiquement avant le procès, afin de ne pas nuire à la défense de l'accusé.

Une «série d'erreurs»

Hier, la ministre Vallée a refusé de commenter le dossier, plaidant que «des accusations sont pendantes». «Je veux simplement réaffirmer toute ma confiance en Me Annick Murphy, qui est la directrice des poursuites criminelles et pénales, et en son équipe», a-t-elle dit.

Or, le Parti québécois a dénoncé le «glissement» et la «série d'erreurs» commises par le DPCP dans cette affaire. Le député Alexandre Cloutier a souligné que ce sont des policiers qui ont annoncé à la famille de la victime que leur collègue ne serait pas accusé à l'origine. Les parents du garçon se sont butés à des délais de plusieurs mois lorsqu'ils ont cherché à obtenir des explications à la décision. «C'est évident que tout cela a soulevé de sérieuses interrogations», a dénoncé M. Cloutier.

Le député propose que le DPCP rende publics ses motifs lorsqu'il décide de ne pas porter d'accusations contre des policiers qui sont impliqués dans des incidents mortels.

Stéphanie Vallée a indiqué que «différents scénarios sont sous étude». «Il y a une réflexion en cours. Des situations comme celle-là et comme d'autres qu'on a vécues au cours des dernières années nous amènent parfois à repenser la loi. Elle a été mise en place en 2006, il y a toujours lieu d'améliorer le processus», a-t-elle déclaré.

- Avec la collaboration de Denis Lessard, Daniel Renaud, Tommy Chouinard, Martin Croteau et Jasmin Lavoie