Il était minuit moins une. Dans son plus gros coup de filet depuis longtemps en matière de terrorisme, la GRC a intercepté à l'aéroport de Montréal une dizaine de jeunes qui semblaient décidés à quitter le pays pour aller grossir les rangs de groupes djihadistes à l'étranger.

Après avoir tenté d'étouffer l'affaire pendant plusieurs jours, en refusant de répondre aux questions répétées des médias à ce sujet, le corps policier a été forcé d'admettre les faits très tard hier soir, après que La Presse et Radio-Canada eurent publié les détails de l'opération survenue le week-end dernier.

Un communiqué a finalement été émis vers 22 h 30. Il précise que l'intervention des autorités a permis de « perturber » le plan de départ du groupe.

« Étant donné qu'aucune accusation n'a été déposée et que l'enquête se poursuit dans cette affaire, la GRC ne pourra commenter sur les détails ayant mené aux arrestations. Notons que les familles et les proches des jeunes ont été rencontrés par les enquêteurs. Les passeports des 10 jeunes leur ont tous été retirés. »

« C'est un moment très difficile pour les familles des personnes arrêtées. Rappelons que la décision de partir n'est pas celle de la famille mais bien celle d'un individu membre de la famille. Conséquemment, la famille se retrouve souvent complètement désemparée et dans une totale incompréhension envers leur proche », poursuit le communiqué.

Pour mener l'enquête à bien, la GRC a pu compter sur la collaboration des proches d'au moins un suspect, qui a fourni des informations aux autorités, car ils s'inquiétaient de l'évolution du jeune, selon nos informations.

Des précédents

À la mi-janvier, un autre groupe de quatre garçons et deux filles de Montréal et Laval avaient été rapportés disparus après avoir quitté le pays. Les autorités croient qu'ils sont partis dans l'espoir de rejoindre des combattants islamistes en Syrie. Après un long silence, le profil Twitter de l'un d'eux a été mis à jour avec la description « soldat du califat ».

Puis, le mois dernier, deux élèves du Collège Maisonneuve, Mahdi El Jamali et Sabrine Djermane, 18 ans, ont été accusés d'avoir tenté de quitter le Canada en vue de commettre un acte terroriste à l'étranger, mais aussi d'avoir eu en leur possession des substances explosives dans un but criminel. Ils ont plaidé non coupables.

Deux autres Montréalais, Daniel Minta Darko et Merouane Galmi, s'étaient par ailleurs fait imposer de sévères conditions en vertu de l'article 810.01 du Code criminel, dont le port d'un bracelet GPS, parce que les autorités craignaient qu'ils commettent un acte terroriste.

La procureure de la couronne fédérale, Me Lyne Décarie, experte des dossiers de terrorisme, avait prévenu, lors de leur comparution, que d'autres cas semblables risquaient d'être prochainement soumis au tribunal. « Tout le monde sait qu'il y a un certain nombre d'enquêtes en cours », avait-elle lancé.

D'autres jeunes dans la ligne de mire

Par ailleurs, en parallèle, l'Équipe intégrée de la sécurité nationale coordonnée par la GRC a mené d'autres opérations relativement à la radicalisation de jeunes Québécois au cours des derniers jours.

Vendredi dernier, La Presse a été témoin d'une de ces interventions dans l'arrondissement de Saint-Léonard, à Montréal.

Un adolescent est alors sorti d'une maison du quartier, escorté à l'extérieur par plusieurs agents en civil, jusque dans une voiture banalisée. À la fin de l'opération, nous avons tenté en vain d'obtenir une réaction de la famille.

Le père de l'adolescent a refusé à nouveau, hier, de nous accorder une entrevue. Un proche de la famille nous a confié que ce n'était pas la première fois que des policiers intervenaient au domicile.

Lors de l'opération de vendredi, la police a demandé à nos journalistes de s'éloigner de la scène, les accusant de nuire au travail des enquêteurs. Puis, hier, un porte-parole a refusé de confirmer que cette même opération, à laquelle nous avons pourtant assisté, avait bien eu lieu. « Je ne suis pas en position de confirmer ou d'infirmer quoi que ce soit », a déclaré le gendarme Érique Gasse.

Un porte-parole du ministre de la Sécurité publique du Canada Steven Blaney a dit hier qu'il ne pouvait commenter l'affaire, mais après avoir lu un premier article de La Presse mis en ligne à ce sujet, il a tenu à faire un constat : « Le mouvement djihadiste international a déclaré la guerre au Canada et à ses alliés », a-t-il avancé sans plus de détails.

- Avec la collaboration de Daniel Renaud et Jasmin Lavoie

Chronologie des arrestations

Mi-janvier

Six jeunes Québécois, quatre garçons et deux filles, dont plusieurs étudiaient au Collège de Maisonneuve (photo), quittent le pays. Plusieurs avaient démontré des signes de radicalisation, et les autorités croient qu'ils sont partis rejoindre des groupes djihadistes en Syrie.

25 février

Le Collège de Maisonneuve reconnaît que certains de ses étudiants ont pu être séduits par des idées extrémistes et demande à ses employés d'être vigilants devant tout signe de radicalisation.

27 mars

Pour la première fois, un Montréalais accepte volontairement de porter un bracelet GPS et de se soumettre à une série de sévères conditions parce que la GRC craint qu'il ne commette une infraction liée au terrorisme. Les conditions stipulent notamment que Merouane Ghalmi ne peut communiquer avec toute personne en Syrie, foyer de plusieurs mouvements djihadistes, dont le groupe armé État islamique.

10 avril

Daniel Minta Darko, 27 ans, devient le second ne Montréalais à accepter de porter un bracelet GPS parce que la police craint qu'il ne commette une infraction liée au terrorisme. Il lui est interdit de communiquer. Une interdiction d'entrer en contact avec Ghalmi fait aussi parti de ses conditions.

13 avril

La GRC arrête Mahdi El Jamali et Sabrine Djaermane, un autre couple d'étudiants du Collège de Maisonneuve, de peur qu'ils ne commettent un acte terroriste. Quelques jours plus tard, les deux jeunes de 18 ans sont accusés d'avoir tenté de quitter le Canada pour participer à des activités terroristes à l'étranger, d'avoir agi au profit d'une organisation terroriste, d'avoir fabriqué à mauvais escient des substances explosives et d'avoir facilité les activités d'un groupe terroriste.

- Gabrielle Duchaine 

Photo: André Pichette, La Presse