L’enquête a débuté avant même les révélations récentes sur les ballots de papier triés à Montréal

Montréal perd sa confiance envers l’entreprise qui jouit d’un quasi-monopole du recyclage sur son territoire, a affirmé la responsable de l’environnement de Valérie Plante après des révélations sur la destination du recyclage de la métropole.

L’élue Marie-Andrée Mauger a indiqué qu’une firme de consultants enquête depuis plusieurs mois sur le fonctionnement de Ricova pour le compte de la Ville.

« Notre relation de confiance avec cette entreprise est ébranlée », a dit Mme Mauger, en entrevue téléphonique. « Il y a un audit sur Ricova qui est en cours. »

Jeudi, Radio-Canada avait révélé que des ballots de papier triés à Montréal se retrouvaient dans des régions industrielles de l’Inde où des papetières sont en exploitation. Mais comme ils contiennent jusqu’à 25 % de contaminants, essentiellement du plastique, des montagnes de résidus canadiens jonchent les environs de ces usines.

Selon des résidants interviewés par la télévision publique, ce plastique serait illégalement utilisé comme combustible extrêmement polluant par des industriels et des entrepreneurs.

Radio-Canada a aussi révélé que le deuxième port européen, Anvers, renvoyait régulièrement des conteneurs de recyclage québécois vers le port de Montréal parce que les ballots sont contaminés bien au-delà de ce que prévoient les normes internationales.

« Les matières doivent être valorisées »

Marie-Andrée Mauger s’est dite troublée par ces informations. Elle a indiqué disposer de leviers limités pour empêcher qu’une partie du recyclage des Montréalais soit brûlée en Asie.

« De ce que je comprends, ce n’est pas conforme à la réglementation locale, a-t-elle dit. On va donner un coup de sonde à Ricova. »

Les traités internationaux ne permettent pas aux municipalités québécoises d’interdire l’exportation de leurs matières recyclables.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Marie-Andrée Mauger, responsable de l’environnement à la Ville de Montréal

Le ballot, il est considéré comme un bien. À prix égal, il faut favoriser le marché local. Mais si un courtier à l’international offre un prix plus élevé, la Ville n’a pas de levier.

Marie-Andrée Mauger

Toutefois, « c’est vraiment mentionné au contrat que les matières doivent être valorisées », a-t-elle poursuivi. « Si ça sert de combustible, on ne les a pas valorisées. Il faut que Ricova fasse preuve de diligence pour s’assurer, jusqu’à la fin de la chaîne, que les matières sont bel et bien valorisées. »

Dans un courriel et un communiqué, Ricova a défendu sa façon de procéder. L’entreprise nie que ses ballots de papier peuvent contenir jusqu’à 25 % de matières intruses.

« Notre modèle d’affaires mise sur la qualité des matières triées et revendues », a indiqué par écrit Dominic Colubriale, grand patron de Ricova. « Nous sommes fiers de contribuer tous les jours à trouver des moyens de valoriser les matières mises au recyclage par les citoyens. »

« Nous rappelons que Ricova vient d’installer un cinquième lecteur optique au centre de tri de Saint-Michel, améliorant depuis 60 jours la qualité des extrants, a ajouté l’entreprise. Nous sommes confiants que d’autres bonnes nouvelles pourront être partagées au cours des prochains mois. »

« Apparence de conflit d’intérêts »

En 2020, Ricova a repris les contrats de l’entreprise RSC, alors en faillite. Depuis, elle exploite les deux centres de tri de Montréal (Lachine et Saint-Michel), en plus d’assurer la collecte dans plusieurs arrondissements. Mais Ricova est aussi un important exportateur de matières recyclables. Alors que les contrats conclus avec RSC présumaient que les ballots des centres de tri seraient achetés par un tiers, ce n’est plus le cas avec cette nouvelle entreprise intégrée. Et le prix d’achat des ballots – maintenant fixé par Ricova – est utilisé pour séparer les profits du recyclage avec la Ville de Montréal.

« Il y a une apparence de conflit d’intérêts, a dit Mme Mauger. La Ville de Montréal a mandaté la firme Deloitte, en 2021, pour mener un audit sur le processus de vente de Ricova. […] L’audit va nous permettre d’aller voir de quelle façon Ricova sollicite tous les marchés. »

« Ricova collabore en toute transparence avec la Ville de Montréal, tant sur les questions financières qu’opérationnelles », a répliqué l’entreprise.

« La Ville a accès à une grande quantité d’information et de données, qui peuvent lui permettre d’être rassurée quant aux prix qu’exerce Ricova dans la revente des matières triées et à valoriser, continue le courriel. Nous sommes entièrement disposés à partager toute information supplémentaire à cet effet. Nous rappelons d’ailleurs que, depuis que nous avons repris les opérations des centres de tri montréalais, Ricova a versé plus de 4,5 millions de dollars à la Ville, à titre de redevances sur les matières revendues, dont 3,5 millions de dollars en 2021. »

Ces sommes ne concernent que le centre de tri de Saint-Michel. Les profits issus du centre de tri de Lachine ne sont pas partagés parce que Montréal refuse d’en prendre possession depuis 2019 en raison de problèmes de performance.