Une étude commandée par Transports Canada et rendue publique hier par Radio-Canada estime que le nombre de véhicules grimpera de 15 % sur le pont Jacques-Cartier et de 35 % sur le pont Victoria si le gouvernement fédéral persiste à imposer un péage sur le nouveau lien qui remplacera le pont Champlain actuel, en 2018.

L'étude réalisée par la firme britannique Steer Davies Gleave, obtenue par la société d'État, confirme ainsi qu'environ 30 000 des usagers actuels du pont Champlain opteraient pour un autre passage entre la Rive-Sud et Montréal en cas de péage sur le nouveau pont, comme La Presse l'avait révélé il y a déjà un an, à partir des résultats préliminaires de cette même étude.

Les données révélées hier sont toutefois beaucoup plus précises quant aux effets de débordements attendus d'un pont vers l'autre. Un péage fédéral sur le nouveau pont ferait grimper de 35% le nombre des véhicules sur le pont Victoria. La capacité de circulation sur ce pont serait largement dépassée, à 135 %. Malgré une augmentation moins importante de 15% du trafic, le pont Jacques-Cartier deviendrait aussi sursaturé alors que sa capacité de circulation serait utilisée à... 175%.

Selon l'ingénieur spécialisé en circulation Ottavio Galella, président de la firme de consultants Trafix, une telle augmentation se traduirait par des temps d'attente plus longs pour chaque automobiliste et des périodes de pointe s'étirant bien au-delà de 9h ou de 18h sur chacun de ces ponts.

Mais surtout, explique-t-il, un tel transfert de circulation affecterait «d'une manière sensible» la circulation dans tous les secteurs urbanisés et habités se trouvant à proximité des approches de ces ponts, situés en milieu urbain, et non autoroutier.

«Le pont Champlain est alimenté par des autoroutes, explique M. Galella. Ce n'est pas le cas pour les deux autres. Le pont Jacques-Cartier est alimenté par plusieurs routes provinciales étroitement interconnectées aux réseaux de rues locales. Du côté de Montréal, l'approche du pont se fait par l'avenue Papineau et le boulevard René-Lévesque. Ce sont ces secteurs urbains qui seraient le plus durement éprouvés par ce transfert de circulation», qui abandonnerait le réseau autoroutier au profit des rues et artères locales.

Un SLR peu attrayant?

Joint par La Presse hier, après la diffusion du reportage de Radio-Canada sur l'étude tenue secrète par le gouvernement fédéral, M. Galella a indiqué hier qu'il ne «croyait pas du tout» aux conclusions de celle-ci voulant qu'un mode de transport en commun amélioré sur le nouveau pont ait peu d'impact sur la circulation.

Selon Radio-Canada, l'étude estime que seulement 3% des automobilistes actuels du pont Champlain adopteront le train léger de type SLR ou des voies réservées exclusives aux autobus, si l'une de ces solutions est implantée sur le nouveau pont.

«Partout dans le monde où on a implanté des péages routiers, on a noté un transfert modal beaucoup plus important de l'automobile vers le transport en commun - à condition, bien sûr, que les services de transports collectifs soient améliorés au moment d'imposer un péage.»

Pour favoriser un tel transfert, dit M. Galella, les autorités provinciales et municipales «n'auraient qu'à aménager des milliers de places de stationnement incitatif afin d'offrir aux usagers un service efficace vers la métropole, facile d'accès et à un coût compétitif comparé aux tarifs du péage».

Un péage «vieille école»

Enfin, M. Galella estime que le type de péage préconisé par le gouvernement fédéral fait «vieille école» et qu'il n'encourage pas une gestion intelligente du trafic en interdisant toute modulation des tarifs en fonction des heures d'utilisation.

Selon lui, une grande partie des problèmes de débordement de circulation attendus avec l'imposition d'un péage sur le nouveau pont fédéral pourrait être contrée par la mise en place d'un péage de congestion sur les autres ponts de la Rive-Sud. L'accès à ces ponts serait gratuit le soir et les week-ends, aux heures où aucune restriction de circulation n'est nécessaire pour assurer la fluidité du trafic.

Cette forme de péage, ajoute-t-il, répondrait aussi davantage aux principes de l'offre et de la demande, les ponts étant payants seulement aux heures où ils sont le plus sollicités.

À Ottawa, hier, les révélations de Radio-Canada ont fait réagir les partis d'opposition aux Communes, qui s'expliquent mal comment le gouvernement Harper peut aller de l'avant avec un pont à péage en remplacement du pont Champlain, tout en sachant que cette formule provoquera le chaos sur le réseau routier métropolitain.

Le député néo-démocrate Hoang Mai a rappelé que le gouvernement conservateur a tout fait pour garder cette étude d'impacts «secrète», et que cette «opacité» se traduit aussi par un manque de collaboration avec le gouvernement du Québec et les municipalités de la région de Montréal, qui s'opposent toutes au péage.

«C'est un énorme manque de respect pour les deux autres ordres de gouvernement, a d'ailleurs affirmé le député libéral David McGuinty. Ça veut aussi dire qu'ils ne prennent pas au sérieux l'économie de Montréal et la qualité de vie des citoyens.»

- Avec la collaboration de Martin Croteau