Fermé d'urgence en mars dernier parce qu'il était au coeur d'une guerre de territoire entre revendeurs de stupéfiants du Centre-Sud, le Bar 2801 aspire à obtenir ses lettres de noblesse en se transformant en commerce de crème glacée et café internet.

Patrick Corbeil, propriétaire du bar et de l'immeuble qui l'abrite, rue Ontario Est, s'est présenté en début de semaine à une audience de la Régie des alcools, des courses et des jeux dans l'espoir de pouvoir rouvrir son établissement avant les six mois de pénalité qui lui ont été imposés le 18 mai dernier. Pour ce faire, M. Corbeil veut changer la vocation de son établissement.

Le Bar 2801, qui a été la cible de cocktails Molotov au printemps dernier et que les policiers considéraient comme fort mal fréquenté, notamment par des motards criminels, serait transformé en commerce de crème glacée doublé d'un café internet, sans vente d'alcool, et fermerait sagement ses portes à 21 h.

C'est Marie-Brigitte Chartrand, conjointe de M. Corbeil, qui s'occuperait du nouvel établissement. M. Corbeil, qui est lui-même en attente de procès pour trafic de stupéfiants, n'y aurait rien à faire, même pas nettoyer les planchers. Il n'y a pas de risque à ce sujet, a assuré Mme Chartrand: «Il ne le fait même pas chez nous!» a-t-elle dit. En fait, M. Corbeil rénoverait l'établissement pour sa nouvelle vocation et le remettrait «clés en main» à sa conjointe, qui lui signerait un bail de neuf ans, selon les explications données lors de l'audience.

 

Le Service de police de Montréal, qui a le lieu à l'oeil depuis longtemps et qui a fait des pieds et des mains pour le faire fermer, s'oppose à sa réouverture immédiate. «Ouvrir maintenant est prématuré, a fait valoir un policier du SPVM devant la Régie. Sa conjointe, c'est trop proche de M. Corbeil. Le risque de représailles est trop élevé. Il y a eu deux incendies criminels et une roche lancée dans l'établissement. Le risque demeure très élevé. On veut une purge de six mois pour créer une autre clientèle.»

Ce policier a aussi expliqué qu'il craignait qu'une ouverture prématurée «crée un précédent pour d'autres dossiers».

Un autre policier, Stéphane Cloutier, expert en motards criminels, a opiné dans le même sens. «Corbeil avait été visé comme tête dirigeante du 2801 pour la vente de stupéfiants», a-t-il dit. Des individus très violents, notamment Patrick Turgeon (membre Rock Machine puis Bandidos) y ont été vus. Selon le policier, l'établissement de Corbeil est au coeur d'une guerre entre deux clans des Hells Angels, qui se disputent le marché de la vente de stupéfiants dans le Centre-Sud.

Nouvelle clientèle

Me Éric Sutton, qui représente M. Corbeil dans cette affaire, a soutenu que le changement de vocation de l'établissement amènerait inévitablement la clientèle. La loi permet que l'interdiction puisse être levée, a-t-il fait valoir, citant une disposition qui dit: «La Régie peut, sur demande, modifier sa décision lorsqu'il y a changement de destination des lieux.» Son client pâtit de la fermeture actuelle, qui gèle tout jusqu'au 18 novembre prochain. Il voulait se départir de son immeuble et avait trouvé un acheteur avant les incidents de mars. Mais la fermeture du bar par la Régie a fait échouer la vente. M. Corbeil voudrait rentabiliser son immeuble en se conformant à la loi. Michel Gougeon, qui présidait l'audience, et Pierre H. Cadieux, qui agissait à titre de régisseur, ont mis l'affaire en délibéré.

Rappelons que ce bar de la rue Ontario a été la cible d'un cocktail Molotov le 7 mars dernier. Le 23 mars, une autre bombe incendiaire a été lancée dans le sous-sol de l'établissement, forçant l'évacuation de l'immeuble, dont un gardien qui faisait le guet depuis le premier attentat. L'établissement a été fermé d'urgence le lendemain. Le 18 mai, la Régie a révoqué le permis d'alcool et ordonné la fermeture du bar pour six mois.