La veille de son attaque funeste dans la capitale canadienne, Michael Zehaf Bibeau s'est offert un ultime retour aux sources. Après 10 ans sans contacts, l'homme a passé la nuit chez sa tante à Mont-Tremblant, un endroit où il allait souvent, enfant. À l'aube, il a repris la route vers la mort.

Mardi soir, le tireur d'Ottawa a frappé à la porte de Monique Bibeau sans s'être annoncé.

«Il est arrivé comme ça. Il a dit qu'il voulait nous rendre visite. Que ça faisait longtemps qu'on ne s'était pas vus», raconte la femme, que La Presse a rencontrée à sa maison du bord du lac où la famille Zehaf Bibeau avait l'habitude de passer du temps.

Cela faisait une décennie qu'elle n'avait pas vu son neveu.

«Je ne l'aurais même pas reconnu. Il avait changé. Il avait les cheveux longs, une barbe. Ce n'était plus mon petit neveu, dit-elle. En même temps, en dix ans, on change.»

Ils ont soupé ensemble et parlé «de tout et de rien», raconte Monique Bibeau. L'homme de 32 ans, qui était de confession catholique lorsqu'il était plus jeune, a aussi annoncé à sa tante s'être converti à l'islam. «On n'en a pas parlé plus que ça. On a changé de sujet.»

Zehaf Bibeau lui a raconté avoir passé les dernières années dans l'Ouest canadien, où il travaillait dans le pétrole, a-t-il dit. On sait qu'il a vécu à Vancouver, puis à Calgary. «Il m'a vaguement dit qu'il avait des projets d'y retourner», confie la femme. Elle ne se souvient pas qu'il ait partagé ses plans de partir à l'étranger. Elle ne l'a pas trouvé étrange ou différent.

Après le repas, elle lui a proposé de passer la nuit chez elle. Il a accepté. Le lendemain, à 7h, il est monté à bord d'une Toyota Corolla et a conduit jusque devant le cénotaphe à Ottawa, où il a abattu un jeune soldat de sang-froid.

Elle a appris la nouvelle au téléphone. Puis, selon nos informations, Monique Bibeau a elle-même contacté les policiers pour leur dire que le tueur avait passé la nuit dans sa maison. Hier, lors de notre passage, deux agents de la GRC venaient de discuter avec elle durant plus d'une heure.

«Je ne suis pas d'accord avec ce qu'il a fait, mais c'est mon neveu et ça va rester mon neveu», dit Monique Bibeau, qui se souvient d'un enfant «comme tous les autres» qui aimait les jeux vidéo et qui a été particulièrement généreux avec ses cousines, à qui il offrait de nombreux cadeaux.

Derniers adieux?

La semaine dernière, Michael Zehaf Bibeau, qui vivait depuis peu dans un refuge d'Ottawa, a dîné avec sa mère. Ils ne s'étaient pas vus depuis cinq ans. Dans un courriel qu'elle a transmis à l'Associated Press, Susan Bibeau, qui occupe un poste de haute fonctionnaire au gouvernement fédéral, a déclaré avoir «peu à offrir» pour faire la lumière sur le geste de son fils. «Moi, sa mère, je lui ai parlé la semaine dernière lors d'un dîner. Je ne l'avais pas vu les cinq années précédentes.» Elle écrit que son garçon «était perdu et ne rentrait pas dans le moule». Elle dit en avoir honte.

Ahmed Chouaya l'a bien connu. Lui aussi cherche une explication à sa transformation.

Comme leurs parents sont amis, ils se sont fréquentés depuis l'enfance jusqu'à l'adolescence. Il le décrit comme un garçon tranquille, discret, entouré de bons parents.

«Il était gâté pourri», ajoute la tante de l'assaillant.

Ahmed Chouaya, qui travaille dans une boutique du centre-ville, se souvient de plusieurs bons moments. «On jouait au hockey ensemble, on prenait des verres, on sortait dans les clubs. On faisait la belle vie quand on était jeunes.»

M. Chouaya est parti en voyage en 2007 pour revenir cinq ans plus tard. À son retour, en 2012, il a donné rendez-vous à Michael Zehaf Bibeau dans un café de la rue Jean-Talon. Il a eu un choc en revoyant son ami d'enfance.

«Je l'ai retrouvé avec une barbe, se souvient-il. On n'était plus sur la même longueur d'onde, dans la même dimension. Mes origines sont arabes, je suis musulman. Mais comme son père, je ne suis pas un gars de l'islam.» Les deux hommes ont cessé de se voir.

M. Chouaya ignore comment son ami a sombré dans son délire religieux, si ce n'est de la maladie mentale. «Quelle sorte de drogue prenait-il? Quel diable lui a couru après? Il a reviré d'un coup. Et il dit faire cela au nom d'Allah... Allah n'appelle pas pour ça.»

Une jeunesse normale

Zehaf Bibeau est né Michael Joseph Paul Bibeau en 1982 à Laval. Sur son acte de naissance, on lit «père non déclaré». Son père, Bulgasem Zehaf, était en brouille avec sa mère lors de sa naissance. Rapidement, les parents se sont réconciliés et M. Zehaf, un Libyen d'origine qui avait un café sur la rue Crescent à Montréal, est revenu dans la vie de son fils, selon des documents de cour consultés par La Presse. Le couple s'est marié en 1989 et il a déposé une demande de changement de nom en 1995. Le garçon est alors devenu Michael Joseph Paul Abdallah Bulgasem Zehaf Bibeau. Mais dans la vie courante, il se faisait appeler Michael Bibeau, parfois Michael Zehaf Bibeau, comme le montrent ses photos de classe.

Il a fait une partie de son primaire au Collège Stanislas de Montréal. En première secondaire, il a été accepté au Collège Laval, où il est resté jusqu'en troisième secondaire. «Il fumait déjà du pot à l'époque et prenait même de l'acide», raconte un ancien élève de la même école. Il a terminé son secondaire à l'école Saint-Maxime, toujours à Laval.

Comme La Presse le révélait hier, M. Zehaf Bibeau a eu de nombreux démêlés avec la justice pour des affaires de possession de drogue, de conduite avec les facultés affaiblies, de possession de carte de crédit falsifiée ou clonée, de voies de fait et de vol qualifié. Il a d'ailleurs écopé de quelques peines de prison au début des années 2000. À cette époque, il vivait à Montréal, où ses parents possèdent toujours une maison.

D'ailleurs, dès la levée du jour, hier, une vingtaine de journalistes se sont massés devant la résidence des parents du suspect, à Ahuntsic. L'histoire a vraisemblablement capté l'attention des Américains puisque des représentants du New York Times, du Wall Street Journal et d'ABC News ont été dépêchés sur les lieux.

En début de soirée, un homme a quitté la résidence, se refusant à tout commentaire.

- Avec David Santerre et Daphné Cameron