« Pourquoi mon mari est-il traité différemment de ceux qui font la même demande que lui ailleurs au Canada ? Quelle erreur a-t-il commise en tombant amoureux d’un gars du Québec ? »

C’est la question que se pose le DSteven Palanchuck.

Comme des milliers de Québécois, Steven Palanchuck fait partie des laissés-pour-compte des chicanes migratoires entre Québec et Ottawa au sujet du regroupement familial. Voilà plus d’un an qu’il attend le feu vert pour le parrainage de son mari immigrant. Ailleurs au pays, ce serait déjà affaire classée. Le temps d’attente y est de 10 à 12 mois. Ici, en raison d’un plafond trop bas fixé par Québec, les délais explosent. On parle désormais de 26 à 39 mois d’attente.

L’histoire avait pourtant bien commencé un jour de juin 2022. C’est l’histoire d’un médecin montréalais, originaire de Rivière-du-Loup, qui, en vacances au Texas, tombe amoureux de Fahad Meer, un immigrant américain, né au Pakistan, travaillant dans le domaine de la comptabilité et de la finance, rencontré lors d’un festival LGBTQ+ à Dallas.

« J’ai tout de suite senti qu’il était l’homme de ma vie », dit Steven Palanchuck.

Le sentiment est partagé par Fahad Meer. Au moment de déposer son nouvel amoureux québécois à l’aéroport à la fin de ses vacances, il espère que ce n’est qu’un au revoir.

Lorsque, de retour chez lui à Montréal, le médecin trouve des fleurs et ses mets chinois préférés livrés sur le seuil de sa porte, il sait tout de suite qui en est l’expéditeur secret.

Quelques semaines plus tard, ils se retrouvent à Montréal. Six mois plus tard, ils se marient sans imaginer le dédale kafkaïen qui les attend pour que Fahad puisse obtenir un permis de travail, sa résidence permanente et espérer un jour sentir qu’il est ici chez lui.

« Je n’ai jamais dépendu financièrement de quelqu’un de toute ma vie », dit l’homme de 32 ans, qui a travaillé notamment chez UMB Bank et Goldman Sachs aux États-Unis. Il est désespérément à la recherche d’un travail à Montréal. Mais le flottement quant à son statut n’aide pas. Le trou d’un an dans son CV qui s’est créé dans l’attente de son permis de travail fait fuir les employeurs. Depuis novembre, il a postulé plus de 400 emplois, sans succès.

Même s’il satisfait aux critères d’Immigration Canada, qu’il a reçu son certificat de sélection du Québec et a tenu à prendre des cours de français privés avant même d’avoir droit à la francisation, Fahad Meer n’est pas au bout de ses peines pour obtenir sa résidence permanente, car Québec a fixé un seuil maximal de 10 600 candidats par année dans la catégorie « regroupement familial » alors que quelque 40 000 familles sont en attente.

« Je me sens comme si j’étais dans les limbes. Vais-je finir un jour par être accepté ? »

Alors que l’on ne cesse de débattre d’immigration en balançant des chiffres, le DSteven Palanchuck se désole de voir que l’on oublie l’essentiel : les êtres humains derrière ces seuils et ces statistiques.

« C’est comme assister à un souper où tout le monde parle de toi, mais tu es juste assis là et tu ne peux pas participer à la conversation. J’aimerais que nous ayons une conversation sérieuse. Pas juste sur les seuils temporaires, mais en ayant une vision à moyen et à long terme sur l’immigration et l’intégration. »

Alors que le ministre fédéral de l’Immigration Marc Miller demande à son homologue provinciale Christine Fréchette de « faire son bout de chemin » pour corriger l’injustice pour les Québécois en attente de réunification familiale, la route entre Québec et Ottawa semble longue, cahoteuse et embouteillée.

Tout en se disant très sensible au stress vécu par les Québécois en attente, la ministre Fréchette n’a, pour l’heure, pas fait preuve de beaucoup de sensibilité à leur égard et se contente de renvoyer la balle à Ottawa.

Au lieu de reconnaître que, dans un contexte de crise de logement et de capacité d’accueil mise à mal, on aurait tout intérêt à favoriser le regroupement familial (puisqu’on parle ici de candidats qui ont déjà un logement et qui seront pris en charge par leurs parrains), Québec choisit de le limiter.

Du côté du ministre Marc Miller, qui serait théoriquement en droit d’imposer à Québec des seuils plus élevés dans la catégorie de réunification familiale, il semble y avoir aussi un décalage entre les principes défendus et les pratiques de son ministère, vivement critiqué par la vérificatrice générale du Canada pour le non-respect du principe de « premier arrivé, premier servi » au guichet achalandé des candidats à la résidence permanente.

« Ce que je trouve choquant, c’est que nous sommes une catégorie qui est méconnue, incomprise et nous sommes pris dans ce jeu de ping-pong entre les deux [ordres] de gouvernement. Et pendant ce temps, les familles attendent », me dit Marie-Gervaise Pilon, vice-présidente du collectif Québec réunifié, regroupant plus de 1900 familles dans cette situation.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, ARCHIVES LA PRESSE

La ministre de l’Immigration, Christine Fréchette

Dans une lettre rendue publique cette semaine, Québec réunifié a lancé à la ministre Fréchette un appel à la bienveillance1. L’appel, appuyé notamment par le député solidaire Guillaume Cliche-Rivard et le député libéral André A. Morin, est demeuré sans réponse. Comme si la détresse vécue par les milliers de familles québécoises touchées ne suscitait qu’un haussement d’épaules.

Pourtant, l’heure est grave, souligne Marie-Gervaise Pilon. « Je suis très inquiète pour les membres de Québec réunifié. On en a qui parlent de suicide. Leur santé mentale est mise à mal. Le taux de dépression et d’anxiété est catastrophique. »

Derrière le seuil trop bas fixé par le gouvernement caquiste dans la catégorie du regroupement familial, il y a une logique comptable.

Le premier ministre François Legault l’a déjà dit clairement au Conseil du patronat. Son obsession, c’est d’augmenter le salaire moyen au Québec en misant sur l’immigration économique. « Si à chaque fois qu’on rentre un immigrant économique, le fédéral nous oblige à rentrer un réfugié ou une réunification familiale, là, on va avoir de la difficulté à aller chercher les bonnes personnes2. »

Même si de nombreux candidats à la réunification familiale comme Fahad Meer pourraient parfaitement contribuer à l’économie du Québec si on leur en donnait la chance, M. Legault craint qu’ils « empirent [son] problème » en faisant baisser sa moyenne des salaires.

Pour ce qui est de la moyenne d’humanité en chute libre, rassurez-vous, on ne craint rien.

1. Lisez la lettre de Québec réunifié 2. Consultez l’article de Radio-Canada

Rectificatif :
Le député libéral qui a appuyé la sortie publique du collectif Québec réunifié en faveur d’une accélération du traitement des dossiers de réunification familiale est André Albert Morin et non André A. Fortin, comme il était écrit dans la chronique « L’amour au temps du ping-pong migratoire », parue le 10 février. Nos excuses.