L’hésitation de certains libéraux à changer immédiatement de chef se comprend. Ce ne serait pas sans risques.

Comme l’a rapporté notre chef de bureau Tommy Chouinard, des vétérans exhortent Dominique Anglade à céder sa place pour le bien du parti. D’autres sont plus discrets. Peut-être parce qu’ils entrevoient les difficultés à l’horizon.

Regardez le caucus libéral. Parmi les 19 autres députés, qui ferait mieux ? Qui imposerait le respect à l’interne tout en affrontant le gouvernement Legault ?

Peu de noms viennent en tête, à part peut-être celui d’André Fortin. L’ex-ministre des Transports avait songé à affronter Mme Anglade lors de la précédente course à la direction avant de se désister pour des raisons familiales.

Pour assurer l’intérim, il devrait toutefois renoncer à briguer la direction. L’accepterait-il ? Difficile à dire…

Depuis quelques jours, il maintient un silence suspect. Il serait parti lundi en vacances familiales. Dans le dernier mois, il a publié un seul gazouillis, pour célébrer la victoire de deux Aylmerois aux championnats mondiaux de curling mixte. Rien pour appuyer sa cheffe.

Des libéraux exhortent Mme Anglade à penser d’abord au parti et à partir la tête haute. On évoque le cas de Daniel Johnson, qui avait cédé sa place à Jean Charest en 1998. Mais c’était la veille d’une campagne électorale. Cette fois, les libéraux ne sont pas dans l’urgence.

Mme Anglade pourrait rappeler que Pauline Marois n’avait pas démissionné après sa défaite en 2008, pour prendre le pouvoir quatre ans plus tard. Reste que c’était l’exception à la règle, qu’elle avait permis à son parti de regagner l’opposition officielle et qu’elle avait malgré tout subi une tentative de putsch avant d’obtenir un décevant mandat minoritaire.

La morale ? Il n’y en a pas. Chaque cas est unique et doit être analysé selon ses circonstances particulières.

Deux questions se posent dans l’immédiat : Qui doit décider du sort de Mme Anglade ? Comment organiser la course à sa succession si elle part ?

Un vote de confiance en bonne et due forme serait plus démocratique et ordonné.

La constitution du parti exige d’en tenir un avant novembre 2023. Si le vote se tenait bientôt, les mécontents patienteraient plus facilement.

Le problème pour la cheffe, c’est qu’elle ne fixe pas la date. Cette décision relève du conseil exécutif, qui compte 14 membres, dont elle.

Elle pourrait demander de tenir ce vote bientôt. Mais si l’exécutif ne l’écoute pas, elle perdra la face. C’est pourquoi elle a souhaité que ce vote se tienne rapidement, sans en faire officiellement la demande.

Le vote pourrait difficilement se tenir avant juin. La mécanique est lourde. Selon la constitution du parti, un nombre limité de membres peuvent participer au vote de confiance. Parmi eux : le conseil exécutif, le conseil de direction, les députés, candidats et présidents d’association ainsi que des membres choisis par l’aile jeunesse et les commissions responsables du programme politique, des communautés culturelles et des aînés.

Chacune des 125 associations de circonscription doit aussi désigner 12 membres votants. Or, certaines sont orphelines. Les reconstituer sera long. Probablement trop pour organiser un congrès cet hiver.

Les prochaines élections générales se dérouleront en octobre 2026. Énormément de choses pourraient arriver d’ici là.

Mme Anglade peut-elle encore gagner la confiance de ses membres ? Cette décision relève des militants libéraux, et non de la population générale.

Un départ précipité de Mme Anglade avancerait la course à sa succession. Plus elle survient tôt, moins les candidats de prestige venus de l’extérieur se manifesteront. Parce qu’ils n’auront pas eu le temps de s’organiser, et aussi parce que l’impopularité du Parti libéral les découragera.

De plus, si la cheffe démissionne aujourd’hui, une élection partielle devra être déclenchée avant l’été. Tout indique qu’elle se déroulerait avant l’élection de la personne qui lui succédera. Si ce successeur vient de l’externe, elle ne pourra donc pas profiter de la partielle pour devenir député. Et nul ne sait si un autre siège gagnable pour les libéraux se libérerait avant 2026. C’est un pensez-y-bien, car un nouveau chef sans siège à l’Assemblée peinerait à se faire valoir.

Voilà en somme ce qui peut inciter à la prudence.

Mais inversement, il y a une chose qui devrait inquiéter Mme Anglade : tout ce que j’ai écrit, les vieux libéraux comme Nicole Ménard le savent. Et malgré tout, ils réclament son départ, car ils ont perdu confiance pour de bon à la suite de l’expulsion inutile de la députée Marie-Claude Nichols.

Si la cheffe veut s’accrocher, selon ce qu’on me raconte, elle doit envoyer un signal. Comme un changement dans son entourage pour apaiser les tensions à l’interne.

Ce serait sa dernière chance pour gagner du temps et réussir l’improbable exploit de regagner la confiance du parti après une raclée électorale.

Ultimement, cette décision ne dépendra pas d’elle. Mais chose certaine, ceux qui la prendront auront un choix moins simple qu’il n’y paraît.