Le sort de Dominique Anglade se jouera dans les prochains mois.

Devant les caméras, aucun libéral n’a lancé de fronde. On me raconte que personne ne l’aurait fait non plus mardi lors de la rencontre privée avec les candidats. Mais c’est peut-être parce que certains avaient des pensées inavouables à partager avec leurs collègues. Pour eux, le temps de roter du vieux sur n’était pas encore venu…

Mme Anglade n’a pas tiré son parti vers le haut. Reste qu’elle a aussi souffert de la faiblesse de son équipe. En 2014, Philippe Couillard misait sur des vedettes comme Carlos Leitão, Martin Coiteux et le regretté Jacques Daoust. Rien de tel cette année. Les recrues étaient méconnues et fragiles.

Selon la constitution du parti, un vote de confiance doit être tenu lors du prochain congrès, avant novembre 2023. Mme Anglade a deux options : avancer ce vote pour empêcher ses rivaux de s’organiser ou gagner du temps en espérant que l’aiguille bouge dans les sondages.

Dans l’immédiat, toutefois, elle doit tirer des leçons de cette défaite historique. Près de trois députés libéraux sur quatre viennent désormais de Montréal.

Le parti devient le véhicule politique des anglophones et des allophones, mais même eux s’éloignent. Les châteaux forts faiblissent. Par exemple, dans Robert-Baldwin (Ouest-de-l’Île), le vote libéral a baissé de 23 % entre 2018 et 2022.

En résumé : ça va mal partout avec tout le monde.

Les critiques de Mme Anglade devraient toutefois garder ceci en tête : à part elle, personne n’avait levé le petit doigt en 2020 pour devenir chef. L’establishment avait manœuvré pour dénicher un adversaire et organiser une vraie course. Mais leur choix, Alexandre Cusson, s’est désisté en constatant sa défaite imminente.

Qui pourrait faire mieux aujourd’hui ? Je veux dire : un être humain identifiable avec un intérêt pour le poste ? Pour l’instant, je n’en trouve pas.

Dans le caucus, deux députés se démarquaient, Marwah Rizqy et André Fortin. Or, la première va bientôt accoucher et le second avait passé son tour à la dernière course pour des raisons familiales. Rien n’indique qu’ils seraient disponibles ou forcément supérieurs à Mme Anglade.

On me chuchote que Marc Tanguay cacherait mal son ambition pour la chefferie intérimaire. Il s’est comporté en joueur d’équipe durant la campagne. Mais lundi soir, il prévoyait que ce poste se libérerait.

Des libéraux évoquent à distance le nom de Pierre Moreau, sans savoir de leur propre aveu si cet ex-ministre de 64 ans est intéressé. D’autres regardent à Ottawa en se demandant si une future défaite de Justin Trudeau pourrait rendre disponible un ministre de son équipe.

Tout cela est terriblement hypothétique…

Les mutins devraient tirer des leçons des conservateurs fédéraux. Ils ont souvent et rapidement changé leur chef, avec un résultat perdant en 2019 et 2021.

Mme Anglade doit aussi penser à Pauline Marois. Après sa défaite en 2008, la cheffe du Parti québécois s’était accrochée. Elle avait ensuite obtenu 93 % d’appuis à son vote de confiance. Mais quelques mois plus tard, les putschistes s’activaient, assez pour la fragiliser et mener à un mandat minoritaire crève-cœur.

En d’autres mots, rien n’est jamais gagné.

Les libéraux doivent d’abord recruter du personnel parlementaire et rebâtir le parti. Les associations locales ont été laissées à elles-mêmes durant la course. Leur financement est également faible. Ils misent surtout sur les chèques de 100 $ au lieu de solliciter aussi les petits dons mensuels récurrents.

Au cours de la dernière législature, les libéraux se divisaient en trois clans : ceux qui avaient été élus sous Jean Charest, sous Philippe Couillard en 2014, et les recrues arrivées en 2018. Mme Anglade avait une poigne bien imparfaite sur cette bande disparate.

Cette fois, le caucus ne compte que deux députés élus avant 2018. L’absence d’un vieux sage comme Pierre Arcand se fera cruellement sentir.

Plus que jamais, Mme Anglade aura besoin d’une boussole pour orienter son parti. À quoi servent les libéraux dans une ère où le débat sur l’indépendance est mis entre parenthèses ? Comment se défendre face à un adversaire fédéraliste nationaliste ? Comment actualiser les sept valeurs libérales de Claude Ryan ?

D’un côté, on exhorte Mme Anglade à renouer avec les francophones modérément nationalistes. De l’autre, on lui demande de revenir aux valeurs fondamentales du parti, comme le libéralisme. L’équilibre est précaire…

Robert Bourassa peut servir d’inspiration. Lors du débat sur la Charte de Victoria en 1971, il refusait le multiculturalisme canadien, au nom de la spécificité québécoise. En 1988, il avait recouru à la disposition de dérogation pour maintenir l’affichage commercial unilingue en français. C’était toutefois après le jugement de la Cour. Et non avant, de façon préventive, comme le gouvernement Legault.

Reste que le Québec a changé depuis. En 2019, certains militants libéraux prônaient le multiculturalisme à la canadienne. Selon eux, l’interculturalisme québécois équivaudrait à une tentative d’« assimilation ».

C’est dans ce contexte que s’inscrira la réflexion de Dominique Anglade. Et le tic-tac commence déjà à se faire entendre.