Je me lève. Je vois le tableau au-dessus de mon lit, je pense à ma mère. C’est le tableau qu’il y avait au-dessus du sien, peint par sa sœur, l’artiste Laure Major. Sa maison était remplie des œuvres de ma tante. Et la mienne l’est aussi.

J’ouvre le réfrigérateur, je me sers un jus d’orange, je pense à ma mère. Tous les jours de mon enfance, ma mère m’a offert un jus d’orange frais pressé. C’était sa potion magique. Rien de mal ne pouvait m’arriver, durant la journée, si j’avais bu mon jus d’orange au lever. Plus vieux, quand ma mère s’inquiétait de ma santé, et que je lui répondais que j’avais une vilaine grippe ou un gros mal de dos, elle répliquait toujours : « Oublie pas de prendre ton jus d’orange. » Pour elle, ça soulageait tous les maux. Et puisque je suis encore là, il faut croire que c’est vrai.

Je sors dehors, il fait beau, je pense à ma mère. Chaque fois que je sortais dehors avec ma mère et qu’il faisait beau, ma mère s’arrêtait, contemplait, et disait : « Regarde comme il fait beau. »

Elle pouvait être pressée, préoccupée, contrariée, elle s’attardait toujours, en mettant le pied à l’extérieur, à regarder le temps qu’il faisait, comme on regarde un tableau dans un musée. Admirative. Elle m’a fait comprendre que le monde est la beauté originale. Toutes les œuvres d’art en sont la reproduction.

Souvent, elle ajoutait : « Stéphane, prends une grande respiration ! » Même si on habitait à quelques coins de rue du boulevard Décarie et à quelques pieds d’un arrêt d’autobus, la respiration que je prenais sentait bon. Sentait la belle journée, un mélange de gazon, de soleil et du parfum de ma mère. Ça sent encore ça aujourd’hui, chaque fois que j’apprécie le beau temps.

Dans la voiture, quand joue une chanson de Brel ou de Bécaud, je pense à ma mère. Pas une fois a-t-elle entendu Quand on n’a que l’amour ou Je reviens te chercher sans s’exclamer : « Hé que c’est beau ! » Comme si c’était sa première écoute. Pareil pour moi, aussi. Parce qu’en plus d’être jolis, ces airs me ramènent à elle. C’est à ça que servent les chansons, nous rappeler les gens et les moments que l’on aime. Dans le bonheur ou la douleur. Les photos sont les souvenirs de leur allure, les chansons sont les souvenirs de leur âme.

Le long du chemin, je vois des fleurs sur les parterres, je pense à ma mère. Pas moyen de voir des fleurs sans penser à elle. C’est comme si elle les avait inventées. Comme si je devais honorer son droit d’auteure, chaque fois. Ma mère aimait tellement les fleurs que, pour moi, elles ne sont pas juste des fleurs, elles sont les aimées de ma mère.

Et c’est ainsi pour tant de choses : les oiseaux, les livres, les parcs, les églises, les voyages, les longues marches, le Scrabble, la pétanque, le sumi-e, la famille, les grandes tablées, la mer…

Tous des amis de ma mère. Elle a tellement aimé la vie que la vie me fait penser à elle. Ça tombe bien, c’est elle qui me l’a donnée. Cette vie.

Je pense, donc, à ma mère, souvent. Le temps d’un flash. D’un réflexe. C’est tellement inné que ça a pris l’écriture de cette chronique pour que je réalise à quelle fréquence le voyant maman s’allume dans mon cœur, de 24 heures en 24 heures. Ça ne me rend pas triste. Au contraire, ça me donne de l’élan. Son élan. Comme lorsque je tenais sa main pour aller de l’avant.

C’est quand je pense à elle plus longtemps que la peine apparaît. Comme à la fête des Mères.

On est nombreux, ce week-end, à fêter sans la nôtre. À offrir notre bouquet au ciel ou à une pierre tombale. À s’endeuiller, une nouvelle fois.

C’est triste, mais ce qui ne l’est pas, c’est de constater à quel point une mère absente est présente.

Toutes nos pensées sont autant de secondes qui s’ajoutent à sa vie, qui se soustraient à sa mort.

Tant que ses enfants sont en vie, une maman ne meurt jamais.

Et tant que ses petits-enfants le sont aussi, une grand-maman, non plus.

C’est une bonne raison de fêter.

Bonne fête des Mères à toutes les mamans !

On sera avec vous, peu importe où vous êtes.

Que vous habitiez ce monde ou nos pensées.