Si on cherche un symbole des misères du Parti libéral du Québec (PLQ), il se trouve dans la réforme de la loi 101.

Quelque chose d’inédit dans les annales parlementaires s’y passe.

La semaine dernière, le PLQ a demandé qu’on retire son propre amendement qui exigeait qu’un élève d’un cégep anglophone réussisse trois cours réguliers en français – par exemple, des cours de sociologie ou de mathématiques – dans la langue de Leclerc.

Puis, mercredi, coup de théâtre : les libéraux sont revenus sur ce recul. Ils demandent désormais non pas de supprimer cette proposition, mais de la modifier. Leur nouvelle idée est d’offrir une alternative, mais seulement aux ayants droit anglophones. S’ils refusent de suivre en français trois cours réguliers, ils pourraient s’inscrire plutôt à trois cours de français langue seconde. Cela permettrait à ceux qui ne maîtrisent pas la langue officielle de l’apprendre au lieu de faire leurs maths ou leur sociologie en français.

Il y a toutefois un énorme « mais ». Pour que cet amendement soit accepté, les autres partis doivent y consentir. Or, cela reste à voir…

Comme un naufragé en désespoir de cause, le PLQ lance ce message : ce que nous avons proposé est mauvais, aidez-nous à le défaire. Le ministre responsable de Langue française, Simon Jolin-Barrette, contemple leur main, en réfléchissant à ce qu’il doit faire de la sienne…

Ce n’est pas à cause d’une simple erreur de calcul de la cheffe libérale Dominique Anglade. C’est toute sa stratégie qui est en cause.

Aux dernières élections, de nombreux partisans francophones du PLQ ont migré vers la Coalition avenir Québec. À en juger par les sondages, ils n’ont pas changé d’idée depuis. Au contraire, la saignée s’accélère. Le PLQ récolte maintenant un famélique score de 11 % d’intentions de vote chez les francophones. C’est moins que les péquistes, les solidaires et les conservateurs.

Et à l’élection partielle dans Marie-Victorin lundi, le PLQ a fait pire : un catastrophique 7 %.

Mme Anglade ne sait plus quoi faire pour renverser la tendance.

Comme Justin Trudeau, elle a proposé en mai 2021 un virage progressiste. Ça n’a pas fonctionné.

L’hiver dernier, elle a peint le parti en vert avec son projet ÉCO et sa promesse de nationaliser la production d’hydrogène. L’aiguille n’a pas bougé.

Sa stratégie la plus ambitieuse était de reconquérir le vote nationaliste modéré. Elle a songé à appuyer le feu compromis Bouchard-Taylor sur le port de signes religieux pour les policiers, les agents correctionnels et les procureurs de la Couronne. Et surtout, elle s’est érigée en protectrice du français.

À l’époque, le sujet revenait dans les débats. Les six anciens premiers ministres libéraux et péquistes avaient même fait une rare sortie commune pour réclamer que la loi 101 s’applique aux entreprises de compétence fédérale – il faudra voir si Jean Charest défend encore l’idée dans la course à la direction du Parti conservateur du Canada, mais bon, c’est un autre dossier…

C’est dans ce contexte que le PLQ présentait l’année dernière ses 27 propositions pour la langue. L’une d’elles consistait à encourager les élèves des cégeps anglophones à suivre « au moins trois cours en français ».

M. Jolin-Barrette s’est réjoui de cette ouverture. Durant l’étude détaillée de sa réforme, il a demandé aux libéraux s’ils voudraient que la mesure devienne contraignante.

À sa grande surprise, les libéraux ont répondu oui. Même leur député David Birnbaum, ex-directeur de l’Association des commissions scolaires anglophones du Québec, a voté pour. L’amendement a été adopté.

Aujourd’hui, Mme Anglade dit : « oups ».

Elle veut que la commission parlementaire revienne en arrière et modifie sa proposition. Les députés des autres partis doivent donner leur consentement. Ce n’est pas acquis.

M. Jolin-Barrette pourrait exiger quelque chose en échange. Voilà l’humiliante position dans laquelle les libéraux se trouvent.

Il n’y a pas si longtemps, le Parti québécois était déchiré par son débat référendaire. S’il le reportait, les pressés s’insurgeaient. S’il le promettait, les frileux s’inquiétaient. Les péquistes cherchaient à contenter leur base tout en courtisant les indécis. C’était l’écartèlement perpétuel. La crise existentielle revenait à chaque saison des idées.

Les libéraux vivent un peu la même chose. Mme Anglade s’est aliéné son noyau dur de partisans. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter le site Qc125, un agrégateur de sondages.

Dans 13 châteaux forts, où les allophones et anglophones sont nombreux, la probabilité d’une victoire libérale est de 99 %. Dans quatre autres, elle oscille entre 75 % et 90 %. Ailleurs, dans les circonscriptions plus francophones, elle chute à moins de 50 %.

Pour remonter dans les sondages, le PLQ a donc besoin des francophones. Mais en les courtisant, Mme Anglade a fait peu de gains. Elle a surtout enragé sa base militante.

Ses purs et durs menacent maintenant de créer un parti anglo, à l’image de l’Equality Party fondé en 1989. Il serait surprenant que cela menace les sièges dans les châteaux forts. Mais cela crée tout de même une impression de désordre dont elle n’avait pas besoin…

À la décharge de ces mécontents, il est vrai que l’amendement libéral touche les anglophones, ce qui déborde de l’esprit de la loi 101 qui visait d’abord les allophones. Mais en même temps, le fait de ne pas appliquer la loi 101 au cégep constitue déjà un gros compromis…

Et même s’ils se décrivent comme des victimes, les cégeps et universités anglophones demeurent surfinancés par rapport au poids démographique de la communauté.

Si les libéraux défendent leurs militants traditionnels, c’est parce que la politique québécoise a changé.

Face à un adversaire qui ne veut pas faire l’indépendance, Mme Anglade doit se redéfinir, et elle ne sait pas encore comment faire. Elle est partout et nulle part à la fois.

Après avoir gouverné pendant 15 des 18 dernières années, le PLQ était mûr pour un purgatoire. Il devait réfléchir à sa raison d’être et se reconstruire autour de ses valeurs fondamentales.

Comme le chef péquiste Paul St-Pierre Plamondon, Mme Anglade est intelligente et intègre. Je doute que d’autres auraient fait mieux à sa place.

C’est cruel à dire, mais elle était probablement trop pressée de gagner. En quête d’un raccourci vers la victoire, elle a précipité la refondation de son parti.

Le départ de pratiquement tous les vétérans du PLQ aux prochaines élections pourrait aider la formation à se rebâtir autour de nouveaux visages. Si ce qui est brisé se répare, bien sûr.

Mais, malheureusement pour la cheffe, si rien ne change, elle ne sera plus là pour faire ce travail.