(Nashville) Juste avant de me faire tester (oui, m’man, j’suis négatif), j’ai succombé à une pointe de tarte à la noix de coco (une spécialité du Sud qui vaut le détour).

En attendant à la caisse, je me suis rendu compte que j’étais le seul à porter un masque dans cet établissement du Tennessee.

Deux femmes, juste assez loin pour faire mine de parler entre elles, mais juste assez près pour être certaines d’être entendues par moi, se sont mises à deviser de l’inutilité du port du masque.

« C’est prouvé que ça ne sert à rien », disait l’une. « Si on est pour l’attraper, on l’attrapera avec ou sans masque », renchérissait l’autre.

On a beau le savoir, j’ai été encore plus frappé ces derniers jours par la géopolitique sanitaire américaine. Ce n’est pas un échantillonnage scientifique, mais j’ai pu voir les masques monter ou descendre selon que j’étais en terre démocrate ou républicaine. À Nashville, ville majoritairement bleue, le port du masque était de rigueur – ou, disons, généralisé. Mais dans tous les comtés rouges du Kentucky, malgré la consigne de porter un masque à l’entrée des commerces, à l’épicerie, à la pharmacie, au motel, j’étais presque toujours le seul avec un masque. Paranoïa à part, je me faisais regarder.

Ce n’est pas seulement une impression. La carte de la vaccination et de l’adhésion aux mesures sanitaires en général suit très précisément le découpage politique américain1.

Et comme par hasard, ça se reflète (un peu) sur la propagation de la maladie et (beaucoup) sur le taux de mortalité.

On aura beau se plaindre de la « politisation » de la Santé publique au Québec et au Canada, un fait demeure : sauf pour des détails de stratégie, on a su largement éviter la remise en question partisane de la lutte au coronavirus.

Dans la première année de la pandémie, l’écart dans le nombre de cas et de décès entre régions démocrates et régions républicaines n’était pas significatif. Les premiers endroits frappés étaient les grandes villes, reliées au reste du monde, où le virus a circulé rapidement.

L’arrivée du vaccin il y a un an est venue changer la donne. Depuis, on a vu s’installer un écart important entre régions bleues et régions rouges. Pour une raison principale : dans les comtés majoritairement républicains – comme dans le Kentucky de l’Ouest où les tornades ont frappé –, 40 % des gens ne sont pas vaccinés. Contre 10 % dans les comtés démocrates. Le port obligatoire du masque et autres mesures barrières suivent aussi des lignes partisanes. Avec des conséquences mortelles mesurables.

Entre mai et novembre, l’écart de mortalité liée à la COVID-19 n’a cessé de croître ; aux dernières nouvelles, il était trois fois plus élevé dans les comtés républicains.

La contagion fulgurante du variant Omicron risque d’accroître cet écart géopolitique morbide.

La source de la résistance politique au vaccin, aux masques, etc., n’est évidemment pas difficile à trouver. Il suffit d’écouter Fox News ou, mieux encore, les radios de la droite extrémiste et autres médias de désinformation massive. Les attaques agressives contre la Santé publique, le DAntonio Fauci, les vaccins, les mesures de prévention, tout ça a eu un effet massif, tristement comptabilisable dans les salons funéraires.

C’est vrai, ce discours existe ici aussi. On voit des manifs, il y a des réseaux sur l’internet, chez certains démagogues radiophoniques.

Mais à part quelques haut-parleurs politiques marginaux, il n’a pas de relais politiques crédibles, et son impact est moins dramatique. Le taux de mortalité au Québec est deux fois moins élevé qu’aux États-Unis, et au Canada, trois fois moins élevé (80 morts pour 100 000 personnes au Canada contre 246 aux États-Unis). On a beau critiquer la « politisation » de la Santé publique, un fait demeure : on a largement évité, au Québec et au Canada, le piège mortel de la querelle sanitaire partisane.

Il reste que l’écart d’hospitalisation ici même entre vaccinés et non-vaccinés est frappant et inquiétant. La propagande antivaccin et toutes ses déclinaisons émises au nom de la liberté d’opinion, ça tue.

En entrant dans cette nouvelle phase troublante de la pandémie, on risque fort de se retrouver avec d’autres choix déplaisants, radicaux.

Après l’Autriche, voici que l’Allemagne décrète la vaccination générale obligatoire.

On y viendra bien aussi. Du moins, la question devra être abordée. De plus en plus de secteurs d’activité vont dépendre de la vaccination, c’est inévitable – et souhaitable.

En attendant la pilule pour en guérir, ça reste notre seule arme efficace.

Ceux qui propagent le contraire au nom de la liberté mettent des vies en danger, ça se voit, ça se compte.

Leur discours devrait apparaître pour ce qu’il est : criminel.

1. Lisez l’article du New York Times « U.S. Covid Deaths Get Even Redder » (en anglais)