Il y a quelques jours, une dépêche de l’Agence France-Presse en provenance de Londres a retenu l’attention des lecteurs de La Presse. La dépêche en question s’est même hissée dans les textes les plus lus de la semaine, ce qui est étonnant pour une nouvelle traitant d’anatomie.

Je cite le lead de l’AFP : « Un hôpital britannique a vécu cette semaine un branle-bas de combat quand un patient s’est présenté aux urgences avec un obus de la Seconde Guerre mondiale dans le rectum, les secouristes craignant que la charge n’explose. »

L’obus faisait 17 centimètres de long sur 6 de large.

Un bête accident, a plaidé l’homme, qui n’est pas nommé : il faisait le ménage – nu – de sa collection d’objets militaires quand il a glissé et, bon, voilà, nul besoin de vous faire un dessin pour la suite…

J’ai consulté un médecin de ma connaissance, le Dr Jean-Sébastien Trépanier, chirurgien généraliste spécialisé dans le colorectal, pour le sonder sur la question de ce type d’accident.

D’abord, m’a dit le Dr Trépanier, ce genre d’accident est assez fréquent. À l’hôpital où il pratique, à Montréal, ses collègues et lui doivent intervenir de six à dix fois par année pour extraire un objet du rectum d’un patient (le plus souvent, ce sont des hommes).

Ensuite, le Dr Trépanier m’a assuré que ces objets ne se retrouvent pas à l’intérieur du système colorectal du patient par accident…

Enfin, si : c’est un accident si l’objet reste coincé. Mais l’objet ne s’y est pas retrouvé par accident.

La thèse de la chute de la personne sur ledit objet, il n’y croit pas.

Au fil des années, le Dr Trépanier a dû extraire toutes sortes d’objets du système colorectal de patients.

« Une ampoule. Un chandelier. Un concombre… »

À l’hôpital, quand ça arrive, il ne se moque pas du patient. Il y a bien des sourires échangés avec les collègues des urgences, mais jamais devant la personne fort mal en point. « On sait, dit-il, que la personne vit le pire moment de sa vie. »

Au bout du fil non plus, Jean-Sébastien Trépanier ne se moque pas du sort de ces gens qu’il a dû aider d’urgence. Son message est simple : mieux vaut ne pas insérer d’objets dans cette partie du corps.

« Je ne veux pas avoir l’air de faire la morale, mais il y a des dangers réels à insérer des objets dans son corps. Il y a des risques de déchirure du côlon, ce qui peut vous laisser avec une stomie…

— Une stomie ?

— Un sac.

— Oh… »

La plupart du temps, les chirurgiens comme le Dr Trépanier parviennent à retirer l’objet mécaniquement, sans chirurgie. On utilise des forceps, ou alors un lasso par coloscopie. Des calmants peuvent aussi relâcher les muscles. On peut également utiliser le ballon d’une sonde urinaire pour déloger l’objet, en amont, par effet de succion, le but étant d’éviter la chirurgie.

« Mais des fois, on n’a pas le choix, constate le Dr Trépanier. Il faut opérer. J’ai même déjà dû passer par le ventre d’un patient pour enlever l’objet… »

L’histoire de la chute du patient – alors qu’il était nu – sur un objet incongru, le Dr Trépanier l’a entendue sous toutes ses formes. Il sait bien que la cause de l’embouteillage est un jeu sexuel qui a mal tourné, mais il doit quand même demander ce qui s’est passé, ne serait-ce que pour sa propre sécurité.

« Pour votre propre sécurité ?

— Un collègue a déjà retiré un couteau. »

Les patients se divisent en deux camps, au moment de raconter leur histoire. Ça dépend de l’objet qu’il faut déloger.

Ceux qui ont un jouet sexuel, ils disent ce qui s’est passé, que c’était pour du plaisir sexuel. Ceux à qui on retire un objet de la vie de tous les jours, ils plaident presque toujours la thèse de l’accident…

Le Dr Jean-Sébastien Trépanier, chirurgien généraliste spécialisé dans le colorectal

Un jour, le chirurgien a retiré une petite bouteille de Coke en verre. Explication du patient : « Accident de chasse. »

Son approche est toujours la même : il demeure respectueux et factuel dans ses échanges avec le patient. L’approche est appréciée.

« Le monsieur du chandelier, il m’avait remercié de ne pas l’avoir jugé, lors du rendez-vous de suivi. Moi, je ne juge pas, je reste impassible. Mais je lui ai expliqué que ce n’était pas une bonne idée, qu’il ne devrait pas refaire ça. Il m’avait aussi remercié de ne pas avoir dit à sa femme pourquoi il avait dû être opéré… »

Le Dr Trépanier – qui opère généralement des tumeurs cancéreuses et des maladies inflammatoires de l’intestin – ne juge personne, mais il s’ébahit quand même un peu de l’imagination foisonnante des gens, quand il est question de sexualité : « Je peux dire que ça m’expose à la variété des pratiques sexuelles humaines, dit-il. L’imagination des gens est fascinante, c’est étonnant que les gens voient un objet de tous les jours et qu’ils imaginent un jouet sexuel… »

Comme la fois où il a dû déloger… une pomme.

Je soumets au chirurgien que c’est quand même étonnant qu’une pomme ait pu même se frayer un chemin par cet orifice. Réponse du chirurgien, impassible : « Oui. »

Jean-Sébastien Trépanier se permet d’insister à nouveau : l’insertion d’objets dans le rectum est une pratique risquée. Idéalement, dit-il, il ne faut rien insérer dans le système colorectal, même lorsqu’il s’agit de jouets sexuels.

« J’ai déjà retiré un dildo long comme mon avant-bras. »

Toujours dans le registre des jouets sexuels, le Dr Trépanier a déjà retiré un petit vibrateur du corps d’une femme.

« C’était un peu après la Saint-Valentin. C’était l’idée de son conjoint. Ça faisait 24 heures que le vibrateur était là, dans le côlon, quand on l’a sorti par endoscopie, avec un petit lasso… »

Et il y a un punch à l’histoire :

« L’objet vibrait encore, me dit le médecin.

— Pardon ?

— Le vibrateur vibrait encore quand je l’ai retiré. J’ai trouvé le piton, je l’ai éteint après l’avoir retiré. Je faisais ma résidence, mon boss m’a taquiné, plus tard, quand on a été seuls : “Comme ça, tu sais où est le piton pour l’éteindre !” »

Le couple n’a pas demandé de récupérer le vibrateur.

Quand la nouvelle de l’obus a été publiée dans La Presse, le père de Jean-Sébastien Trépanier la lui a envoyée : « T’as déjà rencontré une telle situation ??? »

Je sens un petit sourire au bout du fil quand le chirurgien me dit : « Je raconte pas tout ce que je fais à la job. »

Bon dimanche, tout le monde. Et n’oubliez pas ce que la SAQ nous disait naguère et qui peut s’appliquer en tout : la modération a bien meilleur goût.