Dimanche, 20 h. Les bureaux de vote pour les élections municipales viennent de fermer. Les analystes de RDI commentent les premiers résultats. Une boîte de scrutin sur des milliers, ça ne veut pas dire grand-chose, mais on le dit quand même. 

À 20 h 28 et 30 secondes, une musique interrompt Stéphane Boyer, candidat à la mairie de Laval. Non, on n’est pas à l’ADISQ. Mais l’information, c’est aussi un show. On retourne en studio. Patrice Roy déclare : « Alors ça y est, le suspense est terminé, mesdames et messieurs, à Québec, Marie-Josée Savard est la nouvelle mairesse de Québec, avec une confortable avance pour l’instant… » Les experts nous expliquent les raisons de cette belle victoire. On voit des images, captées en direct du lieu de rassemblement de Mme Savard, c’est l’euphorie. LCN le confirme aussi. C’est réglé.

21 h 03. La nouvelle mairesse de Québec rejoint ses militants. Mêlée de presse :

« Qu’est-ce qui a fait la différence, selon vous ?

— Écoutez, à ce moment-ci, je suis encore tout en émotions… Moi, je dirais l’authenticité, je pense que les gens ont senti que tout ce que je fais depuis huit ans, c’était sincère, c’était authentique. Je l’aime, cette ville-là… Pis aujourd’hui, je suis très fière de cette conclusion-là ! »

Marie-Josée Savard a les joues aussi rouges que sa robe. Les yeux remplis de gratitude. La joie la transporte. On la comprend. Tant d’efforts récompensés. Le premier ministre Legault lui envoie un tweet de félicitations. C’est la consécration.

Quelques minutes plus tard, c’est le discours officiel. Elle complimente ses rivaux. Et assure la population qu’elle va se mettre au boulot, dès le lendemain de la prestation de serment. Bon. La job est faite. Elle peut maintenant fêter. C’est sa soirée.

Une demi-heure plus tard, Patrice Roy semble un peu perplexe : « C’est réglé à Québec, mais regardez le pourcentage, 32,8 % à 31,1 %. » De sorte que monsieur Marchand dit : pas question de concéder la victoire, moi, j’attends… Est-ce qu’un miracle pourrait se produire ?

Imaginez Mme Savard devant sa télé. Elle devait être en train de décompresser. D’enlever ses souliers. De savourer le moment. Et voilà que la victoire ne semble plus assurée. C’est un mauvais rêve.

À Montréal, Valérie Plante fait son discours d’acceptation. Souriante comme jamais. Cette femme est un émoji vivant. Retour à Québec. Le score est de 32,3 % pour Savard et 32 % pour Marchand. Ça ne fête plus au quartier général de la mairesse annoncée. Et pendant que Roy interviewe Mme Plante, Bruno Marchand prend la tête par 50 voix.

Mme Savard aurait-elle festoyé trop rapidement ? Patrice Roy a l’élégance de prendre la responsabilité, au nom des médias, de ce couronnement précoce. Le premier ministre Legault envoie un nouveau tweet : « Je pense que j’ai publié trop vite. Je vais attendre les résultats finaux avant de féliciter le ou la gagnant-e à Québec ! »

Et c’est ce que tout le monde fait. On ne présume plus de rien. On attend que tous les bulletins soient comptés, un à un. Deux heures et demie après l’entrée triomphale de Marie-Josée Savard, c’est au tour de Bruno Marchand de faire la sienne. Il est officiellement le nouveau maire de Québec.

Mme Savard n’a pas parlé, depuis. J’espère qu’elle va bien, malgré tout. Ce qu’elle a vécu est épouvantable.

Perdre, ce n’est pas facile. Perdre après avoir cru gagner, c’est cruel. La « victoire » de Marie-Josée Savard, c’est le « but » d’Alain Côté de la politique.

Alain Côté était certain qu’il venait de faire gagner son équipe, c’était le moment le plus glorieux de sa carrière, puis l’arbitre Fraser a dit que son but n’était pas bon, et c’est devenu le moment le plus crève-cœur de sa carrière. Une chose est sûre, pour l’Histoire, ce n’est ni de la faute de Côté ni de la faute de Savard. Il et elle n’ont rien à se reprocher. Autant l’un pouvait croire en son but, autant l’autre pouvait croire en sa victoire. Dans un des cas, ce sont les médias qui se sont trompés, dans l’autre, c’est l’arbitre qui s’est trompé, ou Paul Gillis, qui n’aurait pas dû causer de l’obstruction aux dépens du gardien du Canadien.

Tout le Québec a été ébranlé par la soirée d’élections de dimanche dernier. S’il y a une chose en laquelle nous avions totalement confiance, c’est bien l’annonce, en primeur, d’une gagnante par notre chef d’antenne préféré. Qu’est-il arrivé ? C’est le vote par anticipation qui aurait fait en sorte que les réseaux ont mal anticipé le résultat. La remontée de Bruno Marchand, au cours de la dernière semaine, ne pouvait se refléter dans les boîtes de scrutin remplies avant elle.

Le vrai coupable, c’est la tendance. Pas la tendance du vote : notre tendance à tout vouloir rapidement. Le plus vite possible. On veut savoir le résultat final avant qu’on ait fini de calculer les votes. Marie-Josée Savard a été la victime de notre empressement. On veut tous être les premiers. Pas juste les candidats qui se présentent. Les salles de nouvelles et leurs auditeurs, aussi.

Et c’est ainsi, en toute chose. Toutes les occupations de la vie font partie d’une longue liste qu’on a hâte de cocher. L’élection à la mairie de Québec vient de nous rappeler de nous calmer. Tirer sur une fleur ne la fera pas pousser plus vite. Chaque chose en son temps.

On se croit plus fin que le destin. N’oublions pas qu’il peut encore nous surprendre. Si la tendance se retient, l’exactitude se maintient.