Quand Steven Guilbeault a été nommé ministre de l’Environnement, j’ai pensé à Nicolas Hulot.

Ce populaire écologiste français avait refusé trois fois d’être ministre avant de finalement accepter en 2017 l’invitation du président Emmanuel Macron. Quinze mois plus tard, il démissionnait. « Je ne veux plus me mentir », justifiait-il, incapable d’appuyer son propre gouvernement.

À Montréal, Luc Ferrandez a lui aussi quitté l’administration Plante après moins de deux ans. Il était déçu du manque d’action face à la crise climatique.

Comme eux, M. Guilbeault arrive au pouvoir avec des attentes immenses. Chaque compromis de sa part sera qualifié de trahison. Et sa mission est encore plus casse-gueule. Car contrairement à Montréal ou à la France, le Canada est un État pétrolier.

Il reste que Steven Guilbeault a deux atouts pour lui.

Le premier, c’est qu’il sera bien accompagné. Sa nomination n’est pas le seul signal fort. Celle de Jonathan Wilkinson aux Ressources naturelles l’est tout autant.

PHOTO LARS HAGBERG, AGENCE FRANCE-PRESSE

Jonathan Wilkinson a été nommé ministre aux Ressources naturelles mardi.

Dans le passé, ce ministère ressemblait à une succursale du lobby pétrolier et gazier. Cela devrait changer avec M. Wilkinson. Il est l’ancien ministre de l’Environnement, et, avant de se lancer en politique, il dirigeait une entreprise de technologies vertes.

Sous le précédent gouvernement, MM. Guilbeault et Wilkinson travaillaient en coulisses pour rédiger le plan vert. Ce duo reste intact, et il prend du galon en contrôlant à la fois l’Environnement et les Ressources naturelles. Du jamais-vu. Et le Nouveau Parti démocratique, qui détient la balance du pouvoir, les poussera dans le dos.

L’autre atout de M. Guilbeault, c’est son pragmatisme.

Il y a deux catégories de militants. Ceux qui mobilisent la population en dénonçant la mollesse des élus. Et ceux qui influencent les élus en coulisses et saluent leurs avancées, même quand elles sont imparfaites. L’ex-directeur d’Équiterre appartenait à la catégorie des good cops.

Avant de se lancer en politique, il parlait à tout le monde, y compris le patronat, et il avait l’oreille des décideurs. Je me souviens de l’avoir vu déjeuner en privé avec Pierre Arcand, alors ministre de l’Environnement du Québec, à Cancún en 2010 à la COP16. Cela en faisait la bête noire de certains militants.

Malgré ce bagage, le défi sera colossal pour M. Guilbeault.

Personne ne doute de ses convictions ou de ses talents de vulgarisateur. Il reste toutefois à prouver son aptitude à gagner ses batailles.

Ses débuts en politique ont été laborieux. À la tête du ministère du Patrimoine, il a eu de la difficulté à vendre sa réforme de la Loi sur la radiodiffusion.

Il connaît mieux l’environnement, mais les politiques à mettre en œuvre seront très complexes.

Les libéraux promettent de mettre fin aux subventions aux énergies fossiles, et aussi de plafonner puis de réduire les émissions de gaz à effet de serre de ce secteur. Comment ? On l’ignore. Et même si le ministre trouve une solution technique, la vendre ne sera pas facile.

L’Alberta et la Saskatchewan risquent de se battre en cour contre le fédéral.

M. Guilbeault devra donc être à la fois diplomate et rusé, pédagogue et charmeur. Il devra maîtriser l’art de la politique.

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La simple nomination de M. Guilbeault sera perçue comme un affront dans les Prairies. Mais Justin Trudeau a appris une leçon dans son premier mandat : certains compromis sont impossibles. En cherchant à plaire à tous, on finit par décevoir tout le monde. C’est ainsi que le Canada s’est retrouvé propriétaire du coûteux oléoduc Trans Mountain, alors que la colère reste vive en Alberta, où le référendum consultatif contre la péréquation a été gagné.

Le plus grand risque serait de manquer d’ambition.

Selon le plus récent rapport onusien, le réchauffement climatique s’élèvera à 2,7 °C si les pays respectent leurs cibles actuelles. Et pour l’instant, ils y échouent. Y compris le Canada.

Les conséquences seront très concrètes. Regardez cette simulation de la hausse du niveau de l’eau dans le Vieux-Québec, dont parlait récemment mon collègue Jean-Thomas Léveillé.

Le ministère de l’Environnement anticipe que le Canada est très près de son objectif (baisse de 40 % des gaz à effet de serre sous le niveau de 2005 d’ici 2030). D’autres modélisations sont toutefois moins optimistes. L’Institut de l’énergie Trottier estime que la réduction serait d’à peine 16 %.

Chose certaine, le Canada n’apporte pas encore sa contribution. De 2005 à 2019, ses émissions n’ont pas diminué. Et depuis l’ère industrielle, le pays est le 10pollueur en importance. Et par habitant, il est le premier.

Le tandem Guilbeault-Wilkinson est le mieux placé pour renverser la tendance. Mais pour réussir, il aura besoin d’aide au sommet de la pyramide. Il devra se transformer en trio, en obtenant un appui ferme de M. Trudeau dans les batailles à venir.

Le premier ministre doit déjà penser à son héritage. Et avec le recul, il se dira sans doute un jour que ce qui aurait été radical, ç’aurait été d’en avoir fait trop peu.