Longtemps, le seul sujet de discorde au Québec, c’était la politique. Ce n’était pas, comme dans de nombreux pays, une question de positionnement gauche-droite ; c’était plutôt une question de couleurs, bleu-rouge. Les Bleus contre les Rouges. L’idéologie n’était pas très différente, mais les amis du parti, oui. Fallait voter du bon bord pour avoir une rue asphaltée.

Puis, avec notre tranquille révolution, est venue la grande remise en question : être ou ne pas être dans le Canada ? Se séparer ou pas ? Chacun devait choisir son camp. Le Oui ou le Non ? Une grande chicane soulevant les passions. À un point tel qu’on allait même jusqu’à s’insulter. Les maudits séparatistes, disaient les uns ; les maudits fédéralistes, répondaient les autres. Ça dégénérait rarement plus que ça. Rien à voir avec les réseaux sociaux actuels.

Il y avait aussi le hockey pour nous enflammer. On était soit Nordiques, soit Canadien. Le feu pognait. C’était encore plus chaud que les débats sur la souveraineté. Des familles se sont brisées quand le but d’Alain Côté a été refusé. Puis, le gouvernement péquiste a dit non au projet de sauver les Nordiques, et le peuple a dit non au projet du gouvernement péquiste. On a perdu coup sur coup l’équipe de Québec et le pays du Québec. Nos deux sujets de rivalité. Tannés de la politique, et tous partisans de la même équipe, on a cessé de s’ostiner. Pendant quelque temps, on avait la paix. C’est plate, la paix, mais au moins, c’est la paix.

Puis sont arrivés les réseaux sociaux. Et d’aucun sujet de discorde, on est passés à 1 milliard de raisons de se chicaner. Pour chaque pro quelque chose, il y a 10 anti la même affaire. Parce que c’est bien connu, on aime peu de trucs, mais on en déteste beaucoup.

Peu importe l’opinion qu’on affirme, une meute de loups va nous dévorer. Que vous soyez pour le vaccin, les amendes, le baseball, le popcorn ou Astérix, vous allez devoir vous défendre.

Une bonne journée, vous écrivez un statut senti et léger : « J’aime ça, aller aux pommes ! »

C’est parti. Les anti-aller aux pommes se mettent à commenter :

« Aller cueillir des pommes, c’est enlever de l’ouvrage à des travailleurs qui en ont besoin. Ton panier de pommes va faire crever de faim du monde ! T’es juste un pourri ! »

« Aller aux pommes, pendant que les droits des femmes sont bafoués en Afghanistan et que la planète brûle, faut être égoïste en ta ! T’aurais pu sauver le monde, à la place ! Étouffe-toi avec ta pomme ! »

« Aller aux pommes !???? Pis les concombres, eux autres !! Tu vas pas les ramasser, les concombres !! Ben non ! Comment tu penses qu’ils se sentent, les concombres ? Concombres au cube ! Faut donner un traitement égalitaire à tous les fruits et à tous les légumes ! Si tu veux ramasser des pommes, faut que tu ramasses tout ce qui pousse ! OK, la tarte ! »

« Fukk le vaxin ! Ça pa raport avec les poomes, mais phoque le vaxin pareille ! »

Et ça continue comme ça. Les réseaux sociaux, c’est l’île de la discorde. Mais faut pas s’en faire. Avant, dans le temps des confrontations politiques ou sportives, il y avait une centaine de personnes qui avaient accès aux médias pour faire connaître leurs points de vue, en respectant des règles précises ; aujourd’hui, il y en a des millions qui peuvent s’exprimer, sans modération. Sur tout et n’importe quoi.

En lisant le statut « J’aime les pommes », la majorité des gens sourient sans commenter. Il aime les pommes, tant mieux pour lui. Et on passe à autre chose. Une poignée d’enthousiastes vont écrire :

« Content pour toi ! »

« Moi aussi, j’aime les pommes ! »

« Vat-tu fere des conphittures ? » (Les positifs aussi peuvent ne pas savoir écrire.)

Et un petit paquet de frustrés, parce que, malheureusement, il y a toujours un petit paquet de frustrés, vont secouer le pommier.

Les réseaux sociaux, c’est comme une ligne ouverte où tout le monde peut avoir la ligne en même temps. Faut prêter l’oreille à ceux qui ont du bon sens et arrêter de relayer les propos de ceux qui sont indécents.

Je ne comprends toujours pas pour quelle raison on met autant l’accent sur les commentaires cons. Ben oui, il existe des cons ! Vieille nouvelle ! On le savait déjà ! Pas besoin de les afficher, pas besoin de le prouver. Pourquoi les médias reprennent-ils toujours les propos offensants ? Comme si on ne pouvait résister à une bonne controverse. Et du même coup, une saloperie anonyme perdue sur une page Facebook se retrouve à la une d’un journal crédible. À qui la faute ? À notre propension à aimer la chicane. Et si on aimait la nuance ?

Ce week-end, allez donc aux pommes. Faites-en part, si vous en avez envie. Et retenez les mots de ceux que ça enchante. Les pisse-vinaigre de pommes, supprimez-les. Tant qu’on accordera plus d’importance aux insultes qu’aux mots doux, ce sont les insultants qui vont gagner. Si on fait l’inverse, l’île de la discorde deviendra l’île de la douceur. Ce sera pourtant la même île. Mais on aura su qui mettre en valeur.