La première question au chef du Bloc québécois lancée par la modératrice n’était pas une question.

C’était un acte d’accusation.

« Vous niez que le Québec a des problèmes avec le racisme, mais vous défendez des lois comme les lois 96 et 21, qui marginalisent les minorités religieuses, les anglophones et les allophones. Le Québec est reconnu comme une société distincte, mais pour ceux qui sont à l’extérieur de la province, aidez-les, s’il vous plaît, à comprendre pourquoi votre parti soutient aussi ces lois discriminatoires. »

Bref : « Accusé, levez-vous ! »

Oups, Blanchet était déjà debout quand Shachi Kurl, présidente de l’Institut Angus Reid, lui a mis les péchés de la nation québécoise dans la face…

Que Blanchet ait déjà reconnu l’existence du racisme systémique au Québec importait peu. Il s’agissait de montrer aux Canadiens combien les Québécois sont des barbares arriérés, comme d’habitude. Oh, en des mots plus polis que ceux de Mordecai Richler en son temps, mais qui veulent dire la même chose : Why are those frogs so racist ?

(Estie que je vais raccrocher si un jour Angus Reid m’appelle pour un de ses sondages…)

Permettez un détour, ici.

Depuis 2006, depuis les balbutiements des débats sur l’identité, depuis Hérouxville et son Code de vie, depuis le kirpan à l’école secondaire, puis la Charte des valeurs, puis la Loi sur la laïcité de l’État (« loi 21 »), je m’inscris en dissidence du consensus québécois. J’ai écrit mille chroniques là-dessus, elles sont faciles à retrouver.

Je vis bien avec cette dissidence. Elle m’a valu des roches, toujours métaphoriques. Mais ces débats sont parfaitement légitimes. Appuyer la loi 21 n’est pas adhérer au KKK. Et la loi 21, comme la loi 101 en son temps, a été adoptée par l’Assemblée nationale au terme de débats exhaustifs où chacun a pu s’exprimer. Et la loi 21 a fait l’objet de contestations devant les tribunaux… Comme il se doit dans une démocratie où l’état de droit prime.

Oui, bien sûr, le Québec invoque la clause dérogatoire pour protéger la loi 21 et sa vision de la laïcité… Et ça peut être vexant pour les individus et les groupes qui contestent cette loi. Au Canada anglais, c’est décrié.

Mais c’est toujours bien un recours parfaitement légal ! L’article 33 de la Charte canadienne des droits et libertés codifie le recours à cette clause. Deal with it.

Fin du détour…

Jamais la modératrice Shachi Kurl n’aurait osé demander à Erin O’Toole – qui représente un mouvement politique important dans le marché d’Angus-Reid – pourquoi il tolère des gens misogynes dans son parti, je parle des crackpots antiavortement. Parce que, justement, ça ne fait pas d’O’Toole un misogyne, c’est un raccourci épouvantable de prétendre cela.

Mais les raccourcis sur le Québec, dans l’élite canadienne-anglaise, ça, ça passe toujours. Y a jamais un sourcil qui se lève.

La loi 21 n’est pas au-dessus de toute critique, de tout débat. Et il y avait une façon de l’aborder dans le débat anglais de jeudi, en posant à chacun de ceux qui espèrent devenir premiers ministres une question bien simple : « Une fois élu premier ministre, allez-vous soutenir la contestation juridique de la loi 21 ? »

La modératrice a préféré montrer aux Canadiens à quel point elle était courageuse de montrer du doigt le ségrégationnisme québécois. Vite, donnez-lui le Rosa Parks Award…

Et peut-on parler d’Annamie Paul, la cheffe des verts, une seconde ?

Elle n’a pas aimé les mots de Blanchet sur le racisme systémique, c’était donc l’occasion de montrer à quel point elle est au fait de ce sujet en giflant le chef du Bloc : « C’est l’occasion de vous informer, et ce n’est pas une insulte, it’s an invitation to educate yourself. »

Et quand Blanchet a voulu se défendre, ce qui était la goddam moindre des choses, la modératrice lui a coupé le sifflet. Il est moins sanguin que je pensais, le chef du Bloc : personnellement, ça aurait été mon signal pour quitter ce dîner de cons.

Annamie Paul est l’incarnation de la condescendance des hyperprogressistes sur cet enjeu-là, sur le racisme systémique, sur l’importance quasi religieuse pour que chacun le reconnaisse, tête baissée, de préférence en faisant brûler de la sauge lors d’une cérémonie d’enterrement de cendres de textes jugés « problématiques »…

Le seul mot qui me vient à l’esprit est anglais, quand me revient le souvenir de cette scène où Paul dit à Blanchet de « s’informer » : sanctimonious, qui décrit la personne convaincue de sa supériorité morale.

Le pire, dans tout ça ?

Je reconnais le racisme systémique. Ça existe. C’est un biais indésirable de ce qu’on appelle le système. Ceux qui ne sont pas des Blancs-Tremblay-Thompson-baptisés ont généralement des obstacles plus importants que les Blancs-Tremblay-Thompson-baptisés quand ils cherchent à se faire une place dans la société. C’est injuste, et ne serait-ce que pour cela, il faut corriger ces biais, en poussant de toutes nos forces.

Mais la ferveur mystique déployée à faire prononcer de force ces mots à ceux qui ont des bémols face à cette réalité me fait rouler les yeux jusqu’au cervelet. Je me fais des entorses aux nerfs optiques, c’est bien pour dire…

Même si tous les Québécois s’agenouillaient demain matin à l’invitation de François Legault – qui serait bien sûr lui-même agenouillé – en reconnaissant le racisme systémique, ça ne demeurerait que des mots. Je préfère l’action aux mots. Tenez, Justin Trudeau a sorti des mots hyper émouvants pour dire l’urgence d’une réconciliation avec les peuples autochtones…

Il reste encore combien de communautés sans eau potable ?

Ben, c’est ça…

On souhaite bonne chance à Annamie Paul, qui n’est pas élue, qui est en chicane avec la moitié de son caucus – lequel peut se réunir dans une cabine téléphonique – pour séduire les Québécois le 20 septembre : Votez pour moi, chers racistes qui avez bien besoin d’une rééducation !

Oh, en passant : deux morceaux de robot à Justin Trudeau et Erin O’Toole qui se sont émus du Quebec bashing, vendredi… Mais il fallait le faire en direct au débat, en anglais, pendant la mise en accusation. Ils ne l’ont pas fait. I wonder why.

C’était déjà pour nous quelque chose comme un autre pays, le Canada. Et on l’a dit mille fois : Québec, Canada, deux pays en un, deux solitudes. Mais je regardais le « débat », jeudi, et c’était autre chose, franchement. Ce Canada-là, c’était quelque chose comme une autre planète.