Un mois et demi après l’attentat islamophobe qui a tué quatre membres d’une même famille à London, en Ontario, la douleur est encore vive au sein des communautés musulmanes.

« Dans l’histoire récente, je n’ai jamais senti un tel niveau d’anxiété au sein de la communauté musulmane canadienne », observait jeudi Mohammed Hashim, directeur de la Fondation canadienne des relations raciales, qui participait au Sommet national sur l’islamophobie organisé par le gouvernement fédéral.

Alors que l’on assiste à une montée inquiétante des crimes haineux au Canada, que faire pour que tous les citoyens, peu importent leur origine ou leur confession, puissent vivre en paix ? Que faire pour que des tragédies meurtrières comme celles de London ou de la Grande Mosquée de Québec ne se reproduisent plus ?

« Honnêtement, plusieurs d’entre nous n’en peuvent plus de n’entendre que des discours », a dit Mohammed Hashim. « On veut juste que la violence s’arrête. Car ce que nous entendons régulièrement aux nouvelles a ébranlé plusieurs personnes dans nos communautés. Nombreuses sont celles qui ne se sentent pas en sécurité. Elles se demandent si elles peuvent sortir marcher, si les personnes âgées peuvent demeurer seules à l’extérieur. »

Les femmes qui portent le hijab sont particulièrement visées par des incidents et des crimes haineux. On a notamment déploré des incidents violents en Alberta au cours des derniers mois.

Le phénomène n’est pas nouveau. Mais il est de plus en plus alarmant.

La haine du musulman ou de celui qui en a l’air s’est accentuée depuis les attentats du 11 septembre 2001. Elle est de plus en plus normalisée, a souligné Jasmin Zine, professeure de sociologie et d’études musulmanes à l’Université Wilfrid-Laurier.

Ce qui distingue l’islamophobie d’autres formes d’oppression, c’est qu’il y a une industrie qui alimente la haine antimusulmane.

Jasmin Zine, professeure de sociologie et d’études musulmanes à l’Université Wilfrid-Laurier

Les crimes et les incidents haineux ou la discrimination ne sont que la pointe de l’iceberg. Si on veut lutter contre l’islamophobie, il faut aussi s’attaquer à tout ce qui, en dessous, y conduit. « Ces actes deviennent justifiés et légitimés par les idéologies qui les soutiennent. » Que ce soient les discours médiatiques qui nourrissent les imaginaires islamophobes, la prolifération de fausses informations, les controverses créées de toutes pièces qui alimentent des théories conspirationnistes d’extrême droite comme celle du Grand Remplacement…

Les représentations négatives des musulmans ne sont pas uniquement perpétuées par des groupes d’extrême droite, observe la professeure Jasmin Zine. Elles ont percolé dans l’opinion publique canadienne, propulsées notamment par des politiques de surveillance post-11-Septembre. Si bien qu’un nombre grandissant de citoyens en arrivent à croire que leurs préjugés sont justifiés et que les musulmans ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes pour la haine et la discrimination dont ils sont victimes.

***

La veille de ce sommet sur l’islamophobie, Ottawa avait organisé un sommet sur l’antisémitisme, un mal qui a aussi connu une recrudescence pendant la pandémie.

L’antisémitisme est « le canari dans la mine du mal », a rappelé l’ancien ministre de la Justice Irwin Cotler, envoyé spécial pour la préservation de la mémoire de l’Holocauste et la lutte contre l’antisémitisme.

Autrefois, lorsque le canari envoyé au fond de la mine de charbon donnait des signes de suffocation, détectant ce qu’aucun homme ne pouvait encore détecter, les mineurs étaient avertis qu’un danger les guettait. Pour échapper à une explosion ou à une émanation de gaz toxiques, il fallait se dépêcher de remonter à la surface.

Il en est de même pour les émanations toxiques d’antisémitisme. C’est forcément mauvais signe. Pas juste pour les Juifs, mais pour toute la société qui les respire.

« Comme on l’a appris douloureusement, ça commence par les Juifs, mais ça ne s’arrête pas là », a dit Irwin Cotler, qui est aussi professeur émérite de droit à l’Université McGill.

La crise sanitaire a contribué à une résurgence de l’antisémitisme et à une augmentation des crimes haineux antisémites au Canada et ailleurs dans le monde. Cette troublante résurgence s’est accentuée encore le printemps dernier dans la foulée des tensions entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza. On ne parle pas ici des critiques légitimes à l’égard des politiques d’Israël ou de la défense des droits du peuple palestinien, mais d’actes haineux que rien ne justifie.

« 2020 a eu le niveau le plus élevé de crimes antisémites jamais vu aux États-Unis, au Canada et en Europe [depuis la Seconde Guerre mondiale]. Mais alors que nous n’en sommes qu’à la moitié de l’année 2021, on a déjà atteint le niveau de crimes haineux atteint pour toute l’année 2020 », a souligné Irwin Cotler.

Citoyens juifs menacés, synagogues incendiées, monuments vandalisés, montée de l’extrême droite en ligne, propagande et théories du complot antisémites liant les Juifs à la pandémie… En temps d’épidémie, l’humain est souvent tenté de puiser dans les mêmes vieux puits ancestraux de la haine et de partir à la chasse aux boucs émissaires. Au Moyen Âge, au temps de la peste bubonique en Europe, on accusait déjà les Juifs d’empoisonner l’eau des puits. Au temps de la COVID-19, on les accuse d’avoir fabriqué le virus dans le cadre d’un vaste complot pour dominer le monde.

Que l’on parle d’antisémitisme, d’islamophobie ou de toute autre forme de racisme, ces dangereuses variations sur la même haine sont aussi inacceptables que préoccupantes. D’où l’urgence de combattre collectivement ce fléau sans relâche et sur plusieurs fronts, comme l’ont répété plusieurs participants aux deux sommets.

Dans les écoles, dès le plus jeune âge. Dans les réseaux sociaux, avec des lois et des politiques permettant de mettre au pas ceux qui font de la haine un fonds de commerce. Dans les communautés qui vivent dans la peur, avec des mesures de prévention et de protection plus efficaces. Pour ne plus s’engouffrer davantage dans la mine du mal.