De nouvelles enseignes
À elle seule, cette artère commerciale, apparue pour la première fois sur une carte de Montréal en 1861, symbolise la reprise économique dans un quartier où règne l’esprit solidaire. Elle s’étend sur un peu moins d’un kilomètre entre les rues Charlevoix et Shearer, à une dizaine de minutes de marche du marché Atwater. Son nom, auquel a été ajouté l’article « du » en 2001, réfère à son emplacement dans Pointe-Saint-Charles. D’un côté, le canal de Lachine. De l’autre, le chemin de fer.
Dans cette rue à la fois commerciale, résidentielle et institutionnelle, on trouve une foule de commerces récemment ouverts : Fleuriste Monarque, Spicebros, Station Berlin, P-23 Dumplings-The Point, Sep Lai, L’Avant Goût et Ton-quartier, pour ne nommer que ceux-là. Il y a des cafés branchés et des restos de cuisine du monde, des chocolats haut de gamme, des épiceries offrant des produits locaux, mais aussi une vieille taverne, La Chic régal, ouverte en 1928, une quincaillerie familiale centenaire, une mosquée, un magasin d’articles d’occasion à bas prix et des organismes communautaires, dont Mission Grand Berger, qui fournit des repas chauds aux plus démunis.
Bref, il y a de tout. Et surtout, tout ne s’explique pas par l’embourgeoisement et l’invasion des nantis, mais plutôt par une coexistence qui semble harmonieuse entre les traditions populaires du quartier et l’arrivée de nouvelles clientèles.
Un quartier tissé serré
« Ce que j’adore, ici, c’est la mixité des gens », confie le conseiller municipal Craig Sauvé, élu et réélu dans ce district depuis 2013 sous les couleurs de Projet Montréal, en parcourant la rue avec La Presse.
« C’est une communauté tissée serré. Le réseau communautaire est extrêmement fort. La clinique communautaire est encore ouverte à La Pointe. C’est la seule clinique communautaire, à ce que je sache, au Québec, qui a survécu », ajoute-t-il devant le Marché Bengal, où l’on peut trouver des produits bangladais, d’Asie du Sud, d’Afrique et d’Amérique du Sud.
« Tout le monde se mélange »
Un peu plus loin, le populaire Clarke Café sert du café italien, des sandwichs et des desserts, à côté du Dollarama. Puis, séparé par quelques immeubles résidentiels, il y a le Florence Café, ouvert en 2019, et la chocolaterie Lecavalier Petrone, l’une des meilleures en ville.
« Ça marche super bien », assure Kevin Rosa, copropriétaire du Florence Café. « Ça s’appelle Florence parce qu’on fait notre propre gelato. Florence, c’est là où le gelato a été inventé. Et ça se dit bien en français et en anglais. »
Ce qu’il aime de la rue du Centre ? « Les gens, répond-il. Ils nous soutiennent vraiment. J’aime la diversité. Il y a des jeunes, des vieux, du monde qui habite dans le quartier depuis toujours, d’autres personnes qui viennent juste d’arriver. Et tout le monde se mélange. »
Un esprit solidaire
C’est aussi ce qu’observe Natassia Marier, copropriétaire du Sep Lai, restaurant laotien ouvert en juin dans le local de l’ancien resto Machiavelli, à l’angle de la rue Charlevoix.
« Il y a un sens de la communauté, décrit-elle. Les gens se connaissent vraiment beaucoup ici. Toutes les entreprises de la rue se connaissent et s’encouragent. Un exemple : il y a un fleuriste en bas de la rue qui s’appelle Fleuriste Monarque. La propriétaire a commencé ici. Elle a fait des pop-up de vente de fleurs pendant la pandémie, et elle s’est fait une clientèle, assez pour ouvrir son magasin. »
Selon le conseiller Craig Sauvé, plusieurs des commerces de la rue du Centre, anciens ou récents, sont exploités par des gens du quartier. « Souvent, ce sont des gens de la Pointe qui veulent investir dans la Pointe », souligne-t-il.
Des produits locaux
C’est le cas de Claire Zadrozynski, de son mari Mehdi Smail et de leur partenaire Jérémie Courtemanche, qui ont ouvert l’épicerie L’Avant Goût, le 30 octobre. Le concept : des produits frais et locaux. Du pain est livré tous les jours à vélo de la boulangerie Louise. Les fruits et légumes proviennent du marché Central, trois fois par semaine. Les viandes, les fromages, les produits d’hygiène et les vins sont tous québécois.
« On essaie vraiment de travailler avec de petits producteurs locaux, d’être présents pour les clients, et de répondre à la demande au fur et à mesure », précise Claire Zadrozynski, infirmière de formation, qui vit à Pointe-Saint-Charles depuis 2014. Son mari, sommelier, a perdu son emploi avec la pandémie.
« Il n’y avait pas de vie de quartier, pas vraiment de commerces, pas de SAQ. Pas de vie tout court, explique Medhi Smail. On s’est confrontés à ce problème-là en tant qu’habitants de Pointe-Saint-Charles. »
Monsieur Hurteau
Le local de 2000 pi2 qu’ils louent, entre les rues Laprairie et Island, était inutilisé depuis plusieurs années quand ils ont entrepris de le rénover de fond en comble, il y a huit mois. L’épicerie africaine ouverte à cet endroit avait fermé ses portes à la suite d’un incendie. Les propriétaires actuels ont toutefois fait une découverte intéressante : le commerce précédent était aussi une épicerie, tenue pendant plus de 60 ans par la famille Hurteau.
« Un jour, il y a un jeune homme qui rentre et qui me dit que dans sa famille proche, l’arrière-grand-père de sa conjointe avait une épicerie ici, en 1920. Ça s’appelait le marché Saint-Charles, raconte Mehdi Smail. En fait, ce monsieur est encore vivant. Il a 100 ans. Et pour ses 100 ans, il est venu ici. Ç’a été beaucoup d’émotion parce qu’il y avait comme une transition entre ce monsieur qu’on ne connaissait pas, qui est d’une autre génération, et nous. Un moment donné, on avait tous les yeux rouges. Ç’a été vraiment touchant. »
Pointe-Saint-Charles en chiffres
14 829
Nombre d’habitants de Pointe-Saint-Charles, selon les données du recensement de 2016
21 %
Proportion de la population immigrante dans le quartier
Source : Ville de Montréal