Air Canada a menacé de congédier des employés de l'aéroport Montréal-Trudeau qui ont refusé de fournir leurs empreintes digitales pour l'implantation d'une horloge de pointage fondée sur la biométrie. En plus de faire l'objet d'un grief syndical, ce système de gestion de l'assiduité a engendré au moins 56 plaintes au Commissariat à la vie privée du Canada. Air Canada, une entreprise fédérale, est-elle soumise à la loi québécoise qui exige le consentement de la personne avant de prélever ses caractéristiques biométriques?

Lorsqu'il est entré chez Air Canada comme bagagiste, Alex (prénom fictif) n'a eu aucun malaise à fournir ses empreintes digitales à Transports Canada, qui gère le programme de sécurité dans les zones sécurisées de l'aéroport Montréal-Trudeau. Mais quand son employeur a exigé, l'été dernier, qu'il fournisse des empreintes pour un système de poinçonnage visant à enregistrer ses allées et venues, il a trouvé le procédé invasif.

À la suggestion de son syndicat, il ne les a pas fournies. Il a aussi demandé à son employeur de préciser comment seraient stockées, utilisées et protégées ses données privées.

«On a soulevé des questions légitimes et ils nous sont revenus avec: "Soit vous le faites, soit vous êtes à la porte." C'est de l'intimidation pure et simple», a déclaré Alex, qui a requis l'anonymat par crainte de représailles.

«Je n'ai pas de problème à fournir mes empreintes à la GRC ou à Transports Canada, parce que ça répond à un besoin réel et légitime de sécurité. J'ai confiance en eux. Ils m'ont fourni toute l'information sur comment mes données seront gérées et protégées», a-t-il ajouté.

La Presse a obtenu une lettre que le transporteur aérien a envoyée à un autre employé qui a refusé de fournir ses empreintes digitales. Ce bagagiste considère lui aussi que son employeur porte atteinte à sa vie privée. «Vous pourriez faire l'objet de mesures correctives qui comprennent la résiliation de votre emploi avec Air Canada», peut-on lire dans la missive qu'il a reçue, signée par le directeur des relations de travail, John Beveridge.

Selon ces deux employés, un enjeu lié au vol de temps pourrait être à l'origine de la décision d'Air Canada. «Personnellement, je n'en ai jamais été témoin», a souligné Alex.

Air Canada a refusé de nous accorder une entrevue sur le sujet ou de répondre à la majorité des questions que nous avons fait parvenir à sa porte-parole par courriel sur une période de quelques semaines. Impossible, par exemple, de savoir quelles catégories d'emploi sont visées par la mesure.

«Tout comme un très grand nombre de compagnies aériennes, aéroports et industrie à quarts de travail dans le monde, nous utilisons le système biométrique Morpho. Il est en cours d'implantation dans tous nos aéroports à travers le Canada et remplace les anciennes cartes à poinçon maintenant désuètes et améliore la sécurité tout en protégeant la vie privée des utilisateurs», a écrit la porte-parole d'Air Canada, Isabelle Arthur, dans un courriel. Cette dernière a aussi précisé que le système était géré à l'interne.

Les relations de presse de l'entreprise Morpho n'ont pas répondu à notre demande par courriel.

Pour l'instant, le système biométrique a été implanté à Montréal, Halifax et Toronto.

Plaintes et grief syndical

En juillet, l'Association internationale des machinistes et des travailleurs de l'aérospatiale, qui représente les bagagistes d'Air Canada à la grandeur du pays, a «fortement conseillé» à ses membres de refuser de fournir leurs empreintes. Depuis, le syndicat a recommandé aux membres de se plier à la demande d'Air Canada selon le principe «obéir maintenant, se plaindre ensuite».

Le porte-parole du syndicat à Toronto, Carlos De Costa, a refusé de nous accorder une entrevue pour ne pas nuire au processus de grief en cours. Il a cependant souligné que cette mesure pourrait toucher jusqu'à 10 000 employés qui ont accès au tarmac dans l'ensemble du pays.

En parallèle, des employés d'Air Canada à Montréal ont fait des démarches auprès du Commissariat à la vie privée du Canada: au moins 56 plaintes ont été déposées.

«Le Commissariat a décidé de ne pas enquêter en attendant l'issue du processus de grief ou d'arbitrage. Nous avons indiqué aux plaignants qu'ils pourraient soumettre à nouveau leur plainte au Commissariat s'ils ne sont pas satisfaits de la conclusion du processus en cours», a indiqué le porte-parole du Commissariat, Tobi Cohen.

D'accord ou non, Alex se dit déçu de la gestion du dossier par son employeur. «Imaginez, on a trouvé par terre une liste des employés qui étaient pour et une liste d'employés qui étaient contre. Comment s'est-elle retrouvée là? Aucune idée, mais ça n'inspire pas confiance sur le sérieux que l'on accorde à nos informations personnelles.»

Qu'est-ce que la biométrie?

La reconnaissance biométrique est une technique d'identification à partir des caractéristiques physiologiques uniques d'un individu. Reconnaissance faciale, de la voix, de l'iris ou des veines de la main. plusieurs technologies existent sur le marché. La reconnaissance des empreintes digitales est, de loin, la plus répandue. Elle est aussi difficile à contourner et moins coûteuse.

Comment ça fonctionne?

Air Canada a refusé de nous accorder une entrevue pour expliquer comment fonctionnent les horloges de pointage à lecteur d'empreintes digitales. La Presse a cependant mis la main sur des documents qu'Air Canada a fait parvenir à ses employés et qui répondent à quelques questions.

Comment les empreintes digitales sont-elles conservées dans le système?

Le système d'horloge de pointage à lecteur d'empreintes digitales de l'outil de gestion de l'assiduité a recours à des modèles exclusifs d'empreintes digitales, qui consistent en des représentations mathématiques de la structure des crêtes. Ces modèles ne permettent pas de conserver l'image de l'empreinte; seule sa représentation mathématique est conservée.

Mon modèle d'empreinte digitale est-il protégé?

Les modèles d'empreintes digitales sont cryptés à l'aide du chiffrement AES bits, et d'autres mesures ont été prises pour protéger les renseignements sur votre modèle d'empreinte digitale. 

Au cours du processus d'inscription, j'ai vu une image de mon empreinte digitale. Êtes-vous certains qu'elle n'est pas conservée dans un format d'image?

Au cours du processus d'inscription, l'image de votre empreinte digitale est conservée temporairement dans la mémoire du système; elle est supprimée dès l'établissement de la représentation mathématique de l'empreinte.

Peut-on extraire mon empreinte digitale et l'utiliser dans des applications tierces (par exemple, un envoi à un organisme d'application de la loi à titre de preuve)?

Le système d'empreintes digitales ne conserve aucune image, ce qui élimine la possibilité de reproduire des empreintes. De plus, le système utilise des modèles exclusifs, qui ne peuvent être utilisés au moyen de quelque système tiers que ce soit. Enfin, ce dispositif ne répond pas aux exigences juridiques auxquelles sont soumis les organismes d'application de la loi.

Source: Bulletin interne d'Air Canada daté du 5 août 2014