Il y a 50 ans, le gouvernement de Jean Lesage inaugurait le tronçon de l'autoroute 20 entre Montréal et Québec. Ce projet de la Transcanadienne fut d'abord une bataille constitutionnelle avant de devenir «l'épine dorsale» du réseau routier.

«Au Québec, le temps de l'isolement est fini. Le réseau routier a joué un rôle important dans cette plongée vers le XXIe siècle». C'est ainsi que la construction de l'autoroute 20 est présentée dans une vidéo préparée par l'Office du film du Québec pour le compte du ministère de la Voirie (ancêtre du ministère des Transports), en 1967. C'était l'époque où la Voirie définissait les routes comme «le baromètre de la civilisation».

«Ç'a été un grand changement. On pouvait faire la route en deux heures, du pont Jacques-Cartier au pont de Québec. C'était l'époque des grosses voitures et la limite de vitesse était à

70 milles/heure [112 km/h]», relate Pierre Brisset, architecte à la retraite. Jusque-là, quiconque voulait se rendre de Montréal à Québec en auto, se souvient M. Brisset, devait emprunter la «petite route 3» (aujourd'hui la 132), la route 2 qui longeait la rive nord du Saint-Laurent (aujourd'hui la 138) ou la route 9 construite sous le règne de Maurice Duplessis, et dont certaines sections étaient encore en gravier.

C'est la route 9 qui servira, en grande partie, de base pour la construction de l'autoroute 20. Cet énorme chantier qui s'étalera sur trois ans aura coûté 360 millions, soit 2,7 milliards en dollars d'aujourd'hui (en tenant compte de l'inflation).

Cette autostrade, comme on le disait alors, fait partie du projet fédéral de doter le pays d'une route qui traverse le pays d'un océan à l'autre. Depuis 1949, Ottawa, sous le gouvernement du libéral Louis St-Laurent, avait adopté la Loi sur la route transcanadienne par laquelle le gouvernement s'engageait dans un partenariat avec les provinces, à payer 50% des coûts de la route. La construction devait être la responsabilité des gouvernements provinciaux bien que le fédéral s'accordait le pouvoir de déterminer le tracé ainsi que de fixer les normes.

Désaccord québécois

Ce sont ces dernières conditions qui ont soulevé l'opposition immédiate du premier ministre Maurice Duplessis. Il s'agissait, selon lui, d'une tentative d'invasion des compétences provinciales. «Des explications incomplètes qui nous ont été fournies à date il ressort clairement que les autorités fédérales assumeraient pratiquement le contrôle de la construction de la route Trans-Canada à travers notre province», écrit Duplessis dans une lettre transmise au ministre de la Reconstruction et des Approvisionnements, Robert Winters.

Le Québec devra attendre l'élection de Jean Lesage en juin 1960 avant de passer un accord avec Ottawa pour une route traversant le Québec, de la frontière du Nouveau-Brunswick jusqu'en Ontario, dont la longueur estimée était de 398 milles (640 kilomètres). «L'achèvement d'une route transcanadienne est nécessaire à l'établissement de meilleurs moyens de communication entre les diverses provinces du Canada et à l'expansion économique de l'ensemble du Canada», peut-on lire dans l'entente entre les deux gouvernements conclue le 27 octobre 1960.

Deux semaines plus tard, le premier ministre Lesage annonçait, lors de son premier discours du Trône, que le gouvernement élaborait «un plan directeur de tout le réseau routier de la province» en ayant pris «toutes les dispositions nécessaires pour sauvegarder les droits constitutionnels de la province». «Ce réseau devra s'intégrer dans le développement des richesses naturelles, du tourisme et des besoins économiques régionaux», ajoutait-il.

Le 27 novembre 1964, le ministre de la Voirie, Bernard Pinard, inaugurait le tronçon Montréal-Québec. Le projet de Transcanadienne s'est poursuivi et aura entraîné la construction du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine, de l'échangeur Turcot et des autoroutes Décarie et Ville-Marie. «Le plan de développement autoroutier s'est arrêté avec l'arrivée du PQ en 1976, qui avait d'autres priorités», explique l'architecte Pierre Brisset.

- Avec Serge Laplante

Chantier en appels d'offres publics

Le projet de l'autoroute 20 prendra forme à compter de 1961 par l'attribution de 39 contrats par appels d'offres publics. Cette façon de faire marquera un changement important au sein du gouvernement. Sous le règne de Maurice Duplessis, c'est le « cheuf » lui-même qui « distribuait les contrats d'amélioration de chemin, fixait les prix et le tout sans même consulter la carte routière », écrit Conrad Black dans le deuxième tome de sa biographie sur Duplessis. M. Black ajoute que « ses décisions étaient, pour la plupart, équitables et les prix différaient peu de ceux qui auraient été fixés par un appel d'offres ».

Le gouvernement Lesage a eu une tout autre interprétation de ces contrats donnés « aux amis du régime ». Trois mois après son arrivée au pouvoir, en 1960, le premier ministre fait une déclaration devant l'Assemblée législative (Assemblée nationale), qui semble ancrée dans l'actualité d'aujourd'hui et les travaux de la commission Charbonneau. Il explique que son ministre des Travaux publics, René Lévesque, a stoppé des chantiers avant de les relancer par appels d'offres publics. Résultat : les mêmes entrepreneurs ont proposé de faire « le travail à un prix considérablement moins élevé, de 30 % à 65 % inférieur, que celui qu'ils exigeaient du temps de l'Union nationale ».