(Munich) Munich est une très belle ville, agréable à parcourir, propre et cosmopolite, riche d’une vingtaine de musées et d’une multitude de lieux d’intérêt à visiter — notamment un des plus grands parcs urbains au monde —, mais c’est aussi le berceau du nazisme et de l’irrépressible ascension d’Adolf Hitler, pire tyran de l’histoire. Une mémoire que l’on a appris à cultiver parce qu’on ne voulait surtout pas qu’elle se répète, et pourtant…

Depuis plus de trois mois, l’intervention militaire brutale et absurde de la Russie en Ukraine ne cesse de semer l’horreur et la consternation. D’autant que le monde civilisé était convaincu que la planification d’une telle destruction de vies humaines appartenait à un autre âge, à une histoire du passé que l’on croyait scellée à tout jamais avec la fin de la Seconde Guerre mondiale et l’anéantissement, en 1945, du IIIReich allemand et de la barbarie nazie.

L’invasion russe en Ukraine a donc réactualisé chez certains des images que l’on ne pensait plus revoir en Europe, nous ramenant à l’horreur des deux grandes guerres du siècle dernier.

Photo ODD ANDERSEN, archives Agence France-Presse

C’est à Dachau que les nazis ont construit leur premier camp de concentration.

Une visite à Munich, bastion du Parti national-socialiste allemand d’Adolf Hitler, nous replonge de façon implacable dans le monde glauque et surréel de la Seconde Guerre mondiale.

Si le peuple allemand a cherché à oublier cet épisode de tyrannie jamais égalée dans l’histoire humaine, ce n’est qu’à partir de 1965 que l’on a entrepris, à Munich, de restaurer l’histoire du mouvement nazi pour bien se rappeler de quoi se nourrit l’horreur.

Le camp de Dachau

À partir de la gare Centrale de Munich, un train nous amène à Dachau, une petite ville située à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale de la Bavière. C’est ici que le Parti nazi a établi son premier camp de concentration, dans une ancienne usine d’armement désaffectée datant de la Première Guerre mondiale et située bien à l’extérieur de la bourgade.

Photo GUENTER SCHIFFMANN, Archives Agence France-Presse

La porte du camp de concentration de Dachau et sa maxime « Le travail rend libre »

Le parti d’Adolf Hitler prend le pouvoir en janvier 1933 et le camp de Dachau est inauguré trois mois plus tard, en avril 1933, pour y accueillir au départ des opposants politiques, puis de façon systématique des Juifs, des Roms, des homosexuels et tous les autres « déviants », et enfin des prisonniers de toutes les nationalités qui se retrouvaient en guerre contre l’Allemagne.

Durant le trajet en train, on ne peut que penser aux 200 000 prisonniers qui ont probablement dû faire entre 1933 et 1945 le même parcours, mais dans des conditions et un état d’esprit bien différents.

Avant d’arriver au périmètre du camp, on voit les résidences des officiers SS qui avaient leur quartier général et leur camp d’entraînement tout juste à l’ouest de la prison de Dachau, conçue au départ pour détenir 7000 prisonniers, mais qui en abritera au plus fort de l’horreur plus de 60 000…

Il faut compter cinq heures pour faire la visite guidée du camp de Dachau, cinq heures d’un voyage dans le temps et dans l’effroi où on franchit les grilles du camp hautement fortifié qui nous accueillent avec la célèbre maxime gravée dans le fer forgé : « Le travail rend libre ».

C’est ici que les SS vont faire leurs expérimentations les plus sordides pour tester les capacités humaines à la torture, et c’est ici que l’on va construire la première chambre à gaz pour expérimenter le Zyklon B, qui sera utilisé à grande échelle dans les camps d’extermination — notamment celui d’Auschwitz, où on gazait jusqu’à 6000 Juifs par jour.

Photo TOBIAS HASE, Archives agence France-Presse

La visite guidée du camp dure cinq heures. Un pèlerinage au cœur de l’enfer humain.

Les fours crématoires du camp de Dachau vont brûler des dizaines de milliers de corps de prisonniers, tout comme la cour des exécutions va disposer de milliers de prisonniers abattus sommairement sans autre raison que la déraison fomentée par la haine et le suprémacisme aryen.

Tout est encore bien en place, d’une réalité foudroyante, bien qu’on ait érigé des mémoriaux pour rappeler la souffrance des Juifs, des chrétiens ou des Russes qui ont dû traverser cet enfer sur terre. Le baraquement qui abritait les prisonniers a été rasé au lendemain de la guerre, mais on a reconstitué quelques baraques pour bien montrer l’évolution de l’horreur.

Au départ, les chambres des baraques pouvaient accueillir 50 prisonniers entassés, puis ce fut 100, puis 200, et jusqu’à 250 prisonniers par chambre qui dormaient les uns sur les autres.

À la fin de ce pèlerinage au cœur de l’enfer humain, on rentre à Munich, où l’on peut réaliser une des nombreuses visites guidées à pied de la ville qui retracent la genèse de l’avènement du Parti national-socialiste allemand et de la croisade d’Adolf Hitler, qui voulait redonner toute sa splendeur au peuple allemand.

Il faut bien l’avouer, on sort ébranlé d’un tel périple. Accablé par un tel déploiement de haine et de violence aussi acharnées que gratuites. Mais, curieusement, on en sort grandi par la conviction que de telles aberrations ne pourront plus se répéter. Une conviction toutefois brutalement mise à mal par les images quotidiennes que nous renvoie l’invasion russe en Ukraine.

Des buveurs par milliers

photo tirée du site web de Hirschgarten

Hirschgarten, le plus vaste jardin de bière de Munich

On peut difficilement échapper à l’appel de la bière lorsqu’on séjourne à Munich, et c’est la raison pour laquelle il aurait été vain et même improductif de ne pas profiter d’un bref séjour dans la capitale de la Bavière pour aller faire une petite virée des principaux jardins de bière et tavernes, caractéristiques de ce haut lieu de la culture brassicole. Entendez-moi bien, le projet n’était pas d’aller en virer une à Munich, mais d’aller faire une virée de certaines de ses célèbres brasseries.

Une semaine avant que j’apprenne que j’irais réaliser un reportage à Munich, la nouvelle est tombée : après deux ans d’absence en raison de la pandémie de coronavirus et de l’interdiction des manifestations de masse en Allemagne, l’Oktoberfest allait enfin reprendre ses activités et avoir bel et bien lieu cette année, du 17 septembre au 3 octobre.

Une bonne raison, donc, de s’intéresser à cette particularité qui fait la renommée de Munich. C’est que la capitale de la Bavière est aussi devenue la capitale mondiale de la bière avec cet évènement-phare annuel.

Photo Matthias Schrader, archives 
Associated Press

Ouverture de la 186e édition de l’Oktoberfest, 
en septembre 2019

L’Oktoberfest est la plus grande fête foraine au monde, et le festival attire, bon an, mal an, plus de 5 millions de visiteurs durant les deux dernières semaines de septembre, dans un terrain vague du centre-ville, voué à la tenue de cet évènement qui s’y tient depuis plus de 210 ans. Le tiers des 5 millions de visiteurs sont des touristes de l’étranger, dont beaucoup des États-Unis, de l’Australie et du Canada, des endroits où la bière est aussi fort populaire.

Photo CHRISTOF STACHE, archives 
Agence France-Presse

Une des 14 tentes géantes en construction, 
le 19 mai

Durant ma visite, à la mi-mai, il n’était pas question d’Oktoberfest, et la place publique sur laquelle on installe 14 tentes géantes durant les festivités — dont la plus grande peut contenir plus de 10 000 personnes — était déserte, mais la bière coule quand même à flots à Munich, et ce ne sont pas les lieux et les occasions de boire qui manquent.

Biergarten et tavernes

On ne peut pas visiter Munich sans s’attabler au moins une fois à l’un des biergartens qui émaillent un peu partout sur le territoire de la ville. On parle ici de véritables tavernes en plein air où les clients peuvent apporter leur propre nourriture, à la condition qu’ils consomment la bière servie par l’établissement.

Le décor est sobre, il se compose d’arbres matures et de tables à pique-nique à perte de vue qui sont assaillies par des hordes de clients qui s’y assoient pêle-mêle pour entamer rapidement la conversation.

On recense une centaine de biergartens à Munich, dont la taille varie, mais qui peuvent souvent accueillir plusieurs milliers de personnes à la fois.

Un jeudi soir qui venait clore la plus belle journée du printemps, je me suis retrouvé au Hirschgarten, en plein cœur de Munich, le plus vaste jardin de bière de la ville, capable de recevoir jusqu’à 8000 clients en même temps.

J’y suis arrivé en début de soirée, c’était plein, et les Munichois avaient visiblement décidé de célébrer cette première belle journée chaude du printemps. Impossible de commander un demi ou une pinte. Ici, comme dans la plupart des biergartens, c’est la chope de 1 litre qui impose sa loi, et c’est un camion qui fait le ramassage des corps morts tout au long de la soirée.

Certaines des sections du Hirschgarten permettent le libre-service pour éviter d’avoir à attendre les serveurs ou les serveuses — tous vêtus du costume bavarois — fort occupés qui peuvent trimballer jusqu’à 10 chopes de 1 litre à la fois. J’ai recensé plus de 150 clients dans la file d’attente pour avoir accès aux barils libre-service, comme quoi la soif est capable de venir à bout de tous les obstacles, même l’attente.

Plus de 200 employés s’escriment quand même toute la soirée pour servir et nourrir les 8000 clients enthousiastes et bruyants qui occupent ce vaste jardin urbain.

Parlant de jardin, lorsqu’on séjourne à Munich, il faut absolument faire un saut à l’Englischer Garten, le Jardin anglais, un des plus vastes parcs urbains au monde, plus grand encore que Central Park à New York.

photo Getty images

L’Englischer Garten de Munich

Véritable oasis de verdure et de plans d’eau alimentés par différents embranchements du fleuve Isar (plus proche d’une rivière, selon nos normes québécoises), l’Englischer Garten permet de prendre une pause après de longues journées à circuler dans le centre-ville animé de Munich.

Le site abrite aussi deux magnifiques biergartens, celui de la Tour chinoise, qui peut accueillir plus de 7000 assoiffés à ses centaines de tables à pique-nique plantées dans un environnement totalement champêtre, et celui plus bucolique encore du Seehaus, qui se déploie sur les berges d’un lac du parc autour du très chic restaurant qui porte aussi le nom de Seehaus.

Mais on ne peut pas décemment faire une virée à Munich sans s’arrêter à la taverne Hofbräuhaus, située en plein cœur du centre-ville. Fondée en 1654, par la brasserie Hofbräu München, qui vend aujourd’hui ses bières partout dans le monde, on dit que la taverne Hobräuhaus est l’une des plus célèbres au monde.

photo tirée de la page Facebook 
de Hofbräuhaus München

La cour intérieure de la brasserie Hofbräu München

Elle est bâtie sur quatre étages et peut recevoir en une seule journée jusqu’à 20 000 clients dans ses 20 salles différenciées. Quand je m’y suis arrêté, j’ai opté pour la cour intérieure, qui peut accueillir plus de 400 invités et qui a tous les attributs d’un biergarten, puisqu’elle est meublée d’arbres et de tables collectives.

Malgré la densité de la foule, c’était nettement moins bruyant que la salle principale, qui comptait plus de 1500 clients, mais là-bas comme ici, la pénurie de main-d’œuvre frappe et il faut s’armer de patience pour pouvoir espérer un menu et ultimement une chope de 1 litre… bien méritée lorsqu’elle arrive enfin.

De la bière partout

Première constatation, qui peut surprendre le touriste fraîchement débarqué à Munich : la consommation de bière est permise dans les lieux et les transports publics, sans restriction aucune, pour les personnes âgées de 16 ans et plus.

Il ne faut donc pas se surprendre de croiser, dans le train, dans le bus ou sur le trottoir, un passant s’ouvrant sans gêne aucune une cannette de bière et trinquer en solo. Et on commence à boire de la bière de bonne heure, comme je l’ai constaté un matin lors d’une promenade au Marché des victuailles, au centre-ville de Munich.

À 8 h 30, attablés à la terrasse d’un café, deux des cinq clients éparpillés dans la place étaient assis devant un demi de blonde déjà bien entamé, dont une dame chic de 70 ans, bien maquillée et bien mise, qui savourait sa « première » (?) bière matinale avec un immense bretzel. Je n’ose même pas imaginer la composition du menu de son souper.

Tout ça pour dire que la bière est omniprésente à Munich, à tel point que ma chambre d’hôtel n’était peut-être pas équipée d’un tire-bouchon, mais un décapsuleur trônait bien en évidence sur la table de chevet.