(Marseille) Depuis Marseille, le train de la côte Bleue serpente à nouveau à flanc de falaise au-dessus de la Méditerranée. Construite en grande partie grâce à des ouvriers immigrés, cette ligne centenaire revit grâce à des travaux acrobatiques.

« Mesdames, Messieurs, ce train desservira les gares de l’Estaque, Niolon, Ensuès-la-Redonne… » Depuis fin avril, après huit mois d’arrêt pour travaux, la voix de l’agente SNCF égrène de nouveau les noms de ces villages en bord de mer qui ont inspiré les peintres Cézanne, Braque ou Derain, l’écrivain Blaise Cendrars ou les cinéastes Jean Renoir, Marcel Pagnol et Robert Guédiguian.

Le train express régional bleu et blanc quitte Marseille, laissant derrière lui les barres d’immeubles, embouteillages et conteneurs du port de la deuxième ville de France. Il entre alors dans un paysage sauvage, entre le massif de la Nerthe et la mer.

« L’alternance entre les tunnels, la Méditerranée, les villages dans les criques, c’est magique », s’émerveille Benoît Larcher, apiculteur installé à Hambourg, qui a décidé avec sa compagne allemande, Wiebke Doscher, de visiter la côte ouest de Marseille en évitant de prendre la voiture.

« Ce qui me touche le plus ce sont les contrastes de lumières et de couleurs, entre les blancs calcaires au départ de l’Estaque puis les ocres à Ensuès-la-Redonne et ce bleu […] de la mer et du ciel », confie Eric Barron, cadre SNCF qui forme depuis des années les conducteurs de cette ligne de 32 kilomètres reliant Marseille à Miramas.

PHOTO CHRISTOPHE SIMON, AGENCE FRANCE-PRESSE

La ligne mythique construite entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle a été sauvée par l’intérêt retrouvé pour le rail, en période de transition écologique, et par son riche patrimoine architectural.

Ce cheminot, qui, adolescent, randonnait le long des voies sur le sentier douanier, a également fondé l’association La Voix de la Côte bleue, pour défendre cette ligne transportant chaque jour entre 1300 et 1500 passagers. 62 % sont des touristes, les autres effectuent leurs trajets domicile-travail, la ligne desservant aussi des zones plus industrielles vers Fos-sur-Mer.

En un siècle environ, la France, qui bénéficiait d’un réseau ferroviaire parmi les plus denses d’Europe dans les années 1930, a vu environ 20 000 kilomètres de lignes se fermer au service voyageurs, selon le géographe Etienne Auphan.

« Xénophobie » et acrobatie

Si rien n’était fait, la ligne de la côte Bleue risquait une fermeture définitive en 2023, a rappelé le président de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, Renaud Muselier.

Mais cette ligne mythique construite entre la fin du 19e siècle et le début du 20e siècle a finalement été sauvée par l’intérêt retrouvé pour le rail, en période de transition écologique, et par son riche patrimoine architectural.

23 tunnels, 18 viaducs : entre roche et mer, le chantier fut titanesque. Eboulis, chutes d’échafaudages ou de pierres, nombre d’ouvriers perdirent la vie, rappelle l’historien Louis Roubaud dans son livre Le chemin de fer de la côte Bleue vers les plaines de la Crau.

Les constructeurs eurent recours massivement à des immigrés italiens, espagnols, portugais et kabyles d’Algérie, qui furent victimes de la « xénophobie traditionnelle », rappelle l’historien.

Dans son film Toni (1935), qui évoque la dure condition des immigrés en France, Jean Renoir a tourné une scène emblématique sur cette voie de la côte Bleue, sur l’impressionnant viaduc en acier de Caronte, à Martigues.

Achevée en 1915, la ligne compte des « chefs d’œuvre de pierre » comme le viaduc des Eaux salées, qui relie deux collines sauvages grâce à une arche unique, en plein cintre, de 50 mètres, conçue par Paul Séjourné, ingénieur concepteur du gigantesque pont Adolphe à Luxembourg.

« Il est très important de valoriser ce patrimoine exceptionnel, mais sans oublier la dureté du travail de ceux qui ont construit la ligne », insiste Eric Barron.

Quelque 105 ans plus tard, SNCF Réseau a renouvelé 24 kilomètres de voies, en partie avec des matériaux recyclés, et sécurisé viaducs et parois. Des travaux acrobatiques.

« L’approvisionnement et l’évacuation des matériaux ont été réalisés par hélitreuillage et les travaux sur les versants rocheux faits en mode “alpiniste” », raconte à l’AFP Cécile Triolle directrice de projet.

Plus de 46 millions d’euros (68 millions de dollars canadiens) ont été investis, la plus grande partie par la Région et SNCF Réseau. Une deuxième phase est prévue en 2026-2027 avec un investissement total prévu de 157 millions d’euros (233 millions $) d’ici 2032.

« Au-delà du pittoresque et du touristique, cette ligne est un atout extraordinaire pour diminuer l’empreinte carbone » des habitants de la métropole marseillaise, estime Henri Cambacedes, premier adjoint de Martigues, qui plaide pour encore davantage de trains dans la journée.