(Paris) « Comme un enfant, on a du mal à le laisser seul ». À deux pas de Montmartre, Khadija Radja veille sur l’hôtel Céleste, un établissement de charme qui a fermé ses portes, déserté par sa clientèle en raison de l’épidémie de coronavirus.

Architecture Art déco, meubles chinés au style « rétro chic », piano-bar et sauna : ce petit hôtel indépendant de 30 chambres accueillait nombre de touristes étrangers depuis son ouverture, en janvier 2018, après deux ans d’une rénovation qui a coûté 2,5 millions d’euros (3,9 millions $).

> Consultez le site de l’hôtel Céleste : https://www.celeste-hotel-paris.com/

Autorisés à rester ouverts — contrairement aux restaurants, bars et commerces non alimentaires — pendant le confinement, nombre d’hôtels ont renoncé à fonctionner, malgré des mesures sanitaires renforcées, faute d’activité. C’est en particulier le cas au sein des 1180 établissements indépendants, soit sept hôtels sur dix, de la capitale.

Parmi eux, l’hôtel Céleste a mis ses six salariés au chômage partiel lundi dernier. Mais « c’est un peu comme un enfant, on a du mal à le laisser seul », dit Mme Radja, sa directrice générale, venue veiller sur les réservations... et sur les camélias de la cour, qui commencent à fleurir.

« Les annulations continuent de tomber... quelques réservations arrivent, mais seulement pour septembre. Nous avons fermé pour préserver nos employés et nos clients du monde entier, Grande-Bretagne, États-Unis, Asie, mais aussi français », explique Mme Radja à l’AFP.

« C’est une super catastrophe économique », soupire-t-elle, assise sur un fauteuil de l’entrée déserte, aux lumières éteintes et aux murs bleus et blancs. « Les salariés sont très inquiets. De fait nous envisageons déjà d’en licencier deux, et de revoir notre organisation ».

Les hôteliers se sentent « dans la confusion la plus totale », affirme Mme Radja, face à l’État qui dit vouloir aider les entreprises à « survivre au trou d’air » causé par la pandémie, selon les termes du premier ministre Édouard Philippe.

Si un report de charges sociales et fiscales a été promis, ainsi qu’un soutien à la trésorerie des entreprises en difficulté, les modalités ne sont pas claires pour tous. En outre, il s’agit d’un report, et non d’un effacement de créances — sauf « au cas par cas », a précisé le gouvernement.

Situations de trésorerie intenables

Or, il sera difficile d’honorer le paiement des charges accumulées, « si l’activité repart lentement » une fois la crise passée, dit le propriétaire de l’hôtel Céleste, Gilles de la Salle, venu donner un coup de peinture sur les moulures du hall d’entrée.

Car « les frais fixes courent : nous voudrions qu’ils nous fassent cadeau des charges », affirme ce « jeune hôtelier de 72 ans », auparavant actif dans l’immobilier.

« Si ça dure plus de trois semaines, certains seront très vite dans des situations de trésorerie intenables. Et est-ce que les banques suivront ? On n’en sait rien », lance-t-il. L’État a promis de garantir les prêts bancaires à hauteur de 300 milliards d’euros, pour éviter les faillites.

« Chacun peut être inventif sur son aide à l’hôtellerie », estime M. de la Salle. « La mairie de Paris est la première à pouvoir faire quelque chose pour la trésorerie des hôtels, en remboursant la taxe de séjour » qui pour l’hôtel Céleste, représente 30 000 euros (47 000 $) par an.

Rembourser la taxe de séjour 2019 aux hôteliers « est impossible juridiquement », a indiqué la Ville à l’AFP, mais « des exonérations seront étudiées au titre de 2020, en fonction de la perte de chiffre d’affaires observée ».

De leur côté les plateformes Expédia ou Booking — qui captaient à elles deux 69 % des ventes internet des hôtels indépendants en Europe en 2018, selon une étude de D-edge (Accor) —, « pourraient réduire leurs commissions au deuxième semestre », estime M. de la Salle.

Pour l’heure, elles ont contraint les hôteliers à accepter des annulations de réservations sans frais, même celles non prévues au contrat, quand ils auraient préféré octroyer des reports aux clients, affirme-t-il.

Interrogé par l’AFP, Booking.com s’est contenté d’indiquer qu’il « continuera à soutenir » ses clients et ses partenaires.

« Nous avons eu l’orage des Gilets jaunes, puis les grèves, et aujourd’hui la COVID-19 », constate l’hôtelier. « En deux ans, c’est un peu lourd pour une entreprise naissante... Mais bon, on garde le moral », conclut-il en souriant malgré tout.