Vous passerez à Londres pendant les vacances? Votre visite ne sera pas complète sans un détour au pie and mash shop, vestige culinaire de l'Angleterre victorienne. Où vous pourrez notamment goûter... l'anguille en gelée.

L'accueil n'est pas spécialement chaleureux. Dès qu'on entre dans son établissement, Bob Cooke nous regarde d'un oeil circonspect, comme si on le dérangeait. Quand on lui commande des jellied eels (anguilles en gelée), il se décrispe cependant et esquisse un petit sourire sous sa moustache. Voilà qui semble lui plaire. En quelques minutes, le bol arrive sur notre table. À l'intérieur: une demi-douzaine de morceaux d'anguille baignant dans une sorte de jello translucide.

Devinant notre effroi, M. Cooke vient alors s'asseoir face à nous pour offrir ses conseils. «Prends-la avec tes doigts, c'est beaucoup plus simple. Surtout ne mange pas les os. Voilààà...»

À notre grande surprise, l'expérience n'est pas si désagréable. Dire qu'on se régale serait mentir. Mais ces rondelles visqueuses, servies froides dans la gelée, ont un petit goût de poisson assez fade qui passe plutôt bien. «Et c'est encore meilleur avec du vinaigre de chili», ajoute le patron du restaurant F.Cooke, qui a laissé sa mauvaise humeur au comptoir.

Classiques d'antan

Jellied eels. Anguilles en gelée. Le nom donne à lui seul mal au coeur. À Londres, une poignée de gargotes en servent pourtant toujours, pour le plus grand bonheur des nostalgiques, des personnes âgées et des touristes en quête d'exotisme.

Les pie and mash shops, comme on les appelle, sont les derniers vestiges d'un monde disparu. Au début du XXe siècle, ces petits restos couraient les rues, pour le plus grand bonheur des classes populaires, qui venaient y déguster la spécialité maison: purée et pâté à la viande (mash and pie) arrosés de sauce verte au persil, le tout assorti d'anguilles, en gelée ou pas. La vilaine créature pullulait alors dans la Tamise et constituait un plat abordable pour la plèbe. Mais cette époque est bien révolue.

Au même titre que l'anguille, qui est en voie de disparition au Royaume-Uni, les pie and mash shops ferment les uns après les autres, emportant avec eux une tranche de l'Angleterre victorienne et de la culture populaire anglaise. «Il y a 30 ans, nous étions au moins 120. Aujourd'hui, pas plus d'une trentaine», s'attriste Fred Howell, propriétaire de Castle's, un établissement du quartier Camden.

On pourrait blâmer l'invasion de McDonald's, la mondialisation ou simplement l'évolution naturelle des goûts, mais selon lui, cette lente et inéluctable disparition n'a qu'une seule cause: l'embourgeoisement. «Les gens du quartier, ils vendent leur maison familiale et déménagent sur la côte, déplore-t-il dans un accent cockney à couper au couteau. Je ne les blâme pas, mais ça fait fondre notre clientèle. Les nouveaux résidants sont moins friands de ce genre de menu.»

Figés dans le temps

Les restos survivants, eux, sont loin de s'être embourgeoisés. Épargnés par le phénomène hipster, ces établissements vintage semblent aussi figés dans le temps que les anguilles dans leur gelée.

Ouvert en 1900 par le grand-père de Bob, F.Cooke résume à lui seul cette résistance au changement. Meublée de bancs en bois et de longues tables en marbre, la salle à manger est recouverte de tuiles d'époque, avec un vieux vitrail au fond. Comme à l'époque, du bran de scie a été répandu sur le sol pour absorber les dégâts de sauce verte ou de gelée.

Un véritable voyage dans le temps, en plein coeur du quartier Hackney. 

«Je suis le seul commerce de la rue qui n'a pas changé. Autour de moi, je ne reconnais plus rien.»

Même les prix sont d'époque, dirait-on, puisqu'à 3,50 livres le bol d'anguilles (autour de 7 $), F.Cooke peut se vanter d'offrir le plat le moins cher du quartier. Seul changement majeur: le poisson s'achète désormais aux Pays-Bas, car l'Angleterre a imposé un moratoire sur la pêche aux anguilles. On ajoutera que même les patrons sont vintage. À 70 ans et avec des problèmes de dos qui l'obligent à marcher plié en deux, Bob fait carrément partie du décor. Tout comme Fred, qui se confondrait presque avec les murs en contreplaqué et les chaises en plastique moulé brun très seventies de Castle's.

Y aura-t-il de la relève une fois passée cette génération? Poser la question, c'est y répondre. Qu'on aime ou non les jellied eels, il faudra bientôt protéger la totalité de ces lieux uniques rescapés d'une autre époque, y compris leur menu. Sinon, ils disparaîtront dans les brumes de l'Histoire...

Photo Jean-Christophe Laurence, La Presse

Le restaurant F.Cooke

Bizarreries britanniques...

Vous pensez que les anguilles en gelée sont immangeables? Vous n'avez rien vu. Voici cinq plats typiquement britanniques que vous (ne) voudrez peut-être (pas) essayer lors de votre prochain voyage au Royaume-Uni.

Fried Mars bar

La fameuse bar Mars frite. Une belle spécialité écossaise, qui vous bouche les artères en un rien de temps. Triples pontés coronariens s'abstenir.

Laver Bread

Ce gros splouch d'épinards est en fait un splouch d'algues avec du gruau. Spécialité galloise. Servi au petit-déjeuner. On a trop hâte à demain matin...

Brawn

Un mélange de viandes venant de la tête du cochon, servies en pâté gélatineux. No comment.

Stargazy Pie

Un pâté au poisson, avec les têtes de poissons qui sortent littéralement du plat. Après vous.

Haggis

LE classique écossais. Abats de mouton cuits dans une panse de brebis, avec orge, avoine et épices. Pas si mauvais, en fait.

Photo tirée de Wikimedia Commons

La bar Mars frite