Frédéric Petit a tout lâché pour venir s'installer à Cancale.

Quand on lui demande ce qu'il veut dire par « tout », ce photographe amateur devenu vendeur d'huîtres répond par une enfilade de villes qui laisse deviner un parcours de vrai bourlingueur : Paris, Fréjus sur la Côte d'Azur, Cahors en Occitanie...

Tous les jours depuis huit ans, il s'installe à son étal au port de la Houle. À cette extrémité du port, huit stands aux rayures blanc et bleu proposent aux passants - habitués comme touristes - le meilleur de la baie du Mont-Saint-Michel : les fameuses huîtres, tout juste sorties de l'eau. On ne les trouvera pas plus fraîches. On les achète à la douzaine pour les rapporter chez soi ou, mieux encore, on les déguste directement sur la jetée, le nez au vent.

Il faut dire qu'elles sont célèbres dans tout l'Hexagone, les huîtres de Cancale. C'est d'ailleurs grâce à elles que le petit bourg serait devenu une véritable ville, autour de 1545 : le roi, voyez-vous, aimait beaucoup les servir à sa table...

À cette époque, les seules huîtres sauvages qu'on pouvait récolter dans la baie étaient plates, explique Inga Smyczynski, qui offre des visites sur les chantiers ostréicoles qui jouxtent le port. « Au XIXe siècle, il pouvait y avoir des centaines de bateaux, appelés bisquines, qui partaient draguer le fond. Il n'y avait pas de quota : la ressource a fini par s'épuiser. »

« Désormais, les huîtres de Cancale sont uniquement d'élevage. » - Inga Smyczynski

Photo Alain Roberge, La Presse

Visite d'un chantier ostréicole à Cancale

Les huîtres plates sont toujours cultivées, mais ce sont les huîtres creuses - dont la croissance est plus rapide - qui ont aujourd'hui la cote. « Elles arrivent du Japon et se reproduisent dans des eaux moins froides [dans le bassin d'Arcachon, notamment] avant d'aboutir dans les chantiers de Cancale. » Installées en sac sur des tables, elles filtrent l'eau riche en nutriments qui va et vient au gré des marées. Avant de finir sur l'étal de Frédéric Petit, elles font plusieurs va-et-vient en tracteur entre la mer et l'usine où elles sont triées et calibrées.

Frédéric Petit et ses voisins du port de la Houle proposent des huîtres creuses de toutes les tailles, mais aussi des huîtres plates, appelées Pieds-de-cheval, certaines aussi grosses qu'une assiette à dessert qui peuvent avoir entre 10 et 20 ans d'âge. Pour ouvrir ces dernières, il utilise un couteau crochu au manche rongé par l'eau de mer, aussi gros que celui d'un marteau. Petites ou grosses, les huîtres plates possèdent toutes un goût de noisette très prononcé, auquel il faut s'habituer.

Pour ouvrir les huîtres creuses, Frédéric Petit préfère toutefois utiliser un couteau à lame simple et rigide. Un simple coup de poignet suffit : clac, clac, clac. En voilà trois d'ouvertes !

En août, quand l'achalandage sur le port est à son maximum, il peut servir 150 assiettes - soit 150 douzaines - en une journée. Derrière lui, les coquilles vides s'accumulent par centaines en un tas impressionnant. « Ce sont les grandes marées qui se chargent de ramasser tout ça. »

Il rappelle aux touristes de jeter la première eau des huîtres - trop salée - avant de les porter à leur bouche. La deuxième, sécrétée par les huîtres, peut aussi être jetée. La troisième, voire la quatrième eau, est souvent la bonne...

HORS LES HUÎTRES

L'intérêt de Cancale, situé à 15 km environ à l'est de Saint-Malo, ne se limite pas à ses huîtres. Ses maisons colorées, qu'on dirait presque empilées les unes sur les autres, forment aussi un très beau spectacle. Et la ville sert de point de départ pour une très belle randonnée de 7 km (aller seulement) vers la pointe du Grouin par le sentier des Douaniers.

La pointe, avec ses falaises qui se jettent dans la mer, offre l'un des plus beaux points de vue des environs. Par temps clair, on peut voir la silhouette du Mont-Saint-Michel d'un côté et le cap Fréhel de l'autre. Impossible pour nous de confirmer ; la météo n'a pas collaboré lors de notre passage. Mais qu'importe. On a tout de même pu apprécier le paysage sauvage de cette pointe qui domine la mer à 50 m de hauteur et voir l'île des Landes, face à la pointe du cap. Cette réserve ornithologique, qui ne se visite pas, abrite goélands argentés, goélands marins et cormorans, notamment.

Une curiosité poétique à découvrir sur la route de retour vers Saint-Malo : les rochers sculptés de Rothéneuf. De simples rochers, comme ceux qu'on trouve sur toute la côte, ont été transformés, à la fin du XIXsiècle, en un étonnant grimoire minéral par les soins de l'abbé Fouré. À demi paralysé, sourd et muet, l'homme a passé 25 ans de sa vie à sculpter le granit pour créer, au marteau et au burin, quelque 300 personnages sortis tout droit de son imagination : corsaires, nains, pêcheurs. Le temps a fait son oeuvre et plusieurs sculptures sont aujourd'hui méconnaissables parce que trop usées, mais il en reste encore quelques-unes à admirer dans ce vaste tableau de 500 m2.

Huîtres au ventre, yeux remplis de beauté et coeur léger grâce à l'imagination de l'abbé Fouré... Cancale et ses environs auront nourri le corps en entier.

Une partie des frais de ce voyage a été payée par le Comité régional Tourisme Bretagne, qui n'a exercé aucun droit de regard sur le contenu du reportage.

Photo Alain Roberge, La Presse

Inga Smyczynski