Au Québec, 25 % des jeunes de 6 à 17 ans sont en surpoids et 6,7 % sont de poids insuffisant, selon l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Vêtir un enfant qui n'a pas une silhouette standard est tout un défi. Témoignages et bonnes adresses.

À la recherche des tailles «husky»

Vanessa Bavière a du mal à habiller son fils de 10 ans. «Il a un ventre et des cuisses un peu plus grosses que la moyenne, alors c'est compliqué, dit-elle. Nous naviguons entre pantalons en stretch et joggings en 12 ou 14 ans.»

«On se rabat sur des tailles plus grandes, explique Mme Bavière, mais il se retrouve avec l'entrejambe au niveau des genoux. Évidemment, ça amène un coût supplémentaire, car je dois les faire raccourcir.»

Alors que l'offre de vêtements en «tailles plus» a explosé chez les adultes, elle reste rare chez les enfants. Le besoin est pourtant là: 16 % des Québécois de 6 à 17 ans faisaient de l'embonpoint et 9 % étaient obèses en 2009-2013, selon l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Au total, un quart des jeunes ont donc un surplus de poids. Autant d'enfants et d'adolescents qu'il faut bien vêtir...

Justine Couturier-Des Rochers a un fils de 8 ans, «grand et costaud pour son âge», décrit-elle. Il porte des sous-vêtements étiquetés 12 ans et des pantalons 10 ans, avec taille élastique. «Mon grand est souvent inconfortable dans des pantalons avec fermeture éclair et bouton», indique-t-elle.

Mme Couturier-Des Rochers aime magasiner sur le site internet des boutiques Children's Place. Elle y a découvert la taille «husky» (ou «costaud» en français), qui n'a rien à voir avec les chiens de traîneau. C'est un terme utilisé en anglais pour décrire les garçons plus ronds. Tant Children's Place que Gap et Old Navy offrent des tailles «plus» et «étroites» pour garçons et filles, en plus des tailles standards.

Le hic? Ces tailles spécialisées sont offertes uniquement en ligne, ce qui rend impossible les essayages en magasin. Autre souci: le choix de vêtements est limité. Il vaut mieux aimer les survêtements, les chemises et les polos unis.

Chez Old Navy, un t-shirt à col en V était offert en taille régulière dans une gamme de huit coloris, le 31 mars. En taille «husky»? Le t-shirt n'était disponible qu'en noir ou blanc...

Dernier problème - et non le moindre -, ces modèles «taille plus» ne conviennent pas aux enfants obèses, seulement à ceux qui ont un léger surplus de poids.

Sujet tabou

Étiqueter des enfants comme étant de taille «husky» ou «plus» choque certains parents, si bien que le sujet semble tabou. «The Children's Place ne souhaite pas participer à votre article», a fait savoir Robert J. Vill, vice-président aux finances de la chaîne américaine, lorsqu'interrogé sur les tailles fortes. Gap et Old Navy ont répondu par l'entremise d'une relationniste, qui a refusé d'être citée. Pour illustrer ce reportage sur les tailles plus, ces deux marques (appartenant au même groupe) ont même envoyé à La Presse des photos de vêtements portés par des enfants minces! Justification: il s'agit de vêtements aussi offerts en tailles «husky»...

Ces marchands font pourtant mieux que la majorité, qui ne vend que des tailles standards. «Nos mesures sont basées sur le 50e percentile canadien», indique Marie-Pier Paquet, responsable du marketing de la marque québécoise Souris Mini. «Malheureusement, notre offre ne contient pas de vêtements pour les enfants à qui la taille dite régulière ne convient pas, admet aussi Marie-Ève Carrière, chargée de projet marketing à l'Aubainerie. L'idée est toutefois très intéressante. Elle sera proposée et analysée par notre département des achats.»

Boom chez les ados

L'avenir s'annonce radieux pour les fabricants qui osent habiller les jeunes ronds. Aux États-Unis, le taux d'adolescents de 13 à 17 ans achetant des tailles plus a presque doublé, passant de 19 % en 2012 à 34 % en 2015, selon NPD Group. «Les adolescents redynamisent le marché des tailles plus», a dit dans un communiqué Marshal Cohen, analyste principal chez NPD Group.

Marie (son nom de famille n'est pas publié à sa demande) a hâte de voir l'offre s'élargir, dans tous les sens du terme. Son fils de 8 ans ne peut porter que des pantalons de coton ouaté.

«Avoir à habiller son enfant en mou pour les belles occasions comme Noël, car il n'y a aucun pantalon propre qui fait, je trouve ça un peu plate. Le voir porter son pantalon de neige déboutonné parce qu'il ne ferme pas, je trouve ça triste.»

«C'est dommage qu'encore aujourd'hui, on a de la difficulté à faire des vêtements pour différents profils, regrette Marie-Ève Faust, directrice de l'École supérieure de mode ESG-UQAM. Je dis toujours aux étudiants en mode qu'on a deux choix. Soit on met tous les gens plus ronds à la diète, ce qui n'est pas notre rôle, comme on n'est pas diététistes. Soit on leur fait des vêtements qui leur siéent. C'est notre rôle, d'habiller les réelles personnes pour qu'elles se sentent bien.»

Surpoids chez les jeunes Québécois de 6 à 17 ans

Embonpoint

Garçons: 13,4 %

Filles: 17,7 %

Obésité

Garçons: 12,7 %

Filles: 5,8 %

Source: Surveillance du statut pondéral mesuré chez les jeunes du Québec: état de la situation jusqu'en 2013, INSPQ

Adresses

Plusieurs chaînes américaines offrent des vêtements de grandes tailles pour jeunes, qu'on peut acheter en ligne. En voici quelques-unes:

- JCPenney

- Land'sEnd

- Justice

Boutiques spécialisées

Des boutiques spécialisées viennent à la rescousse des enfants ronds - et de leurs parents - avec des vêtements adaptés à leur morphologie. Voici trois adresses.

Côme & Zélie

De jolis hauts imprimés, de chouettes robes évasées, des leggings colorés et des pyjamas. Les adolescentes rondes peuvent trouver ces morceaux sur le site de la boutique française Côme & Zélie, lancée en février 2016. L'idée de se consacrer à la mode «grandes tailles» pour les 8 à 16 ans est venue à Emmanuelle Carriot, créatrice de Côme & Zélie, en voyant un reportage sur un jeune en surpoids tentant de magasiner. «L'enfant ne trouvait aucun vêtement qui puisse lui aller, un moment difficile pour la mère et l'enfant», se souvient Mme Carriot. Pourquoi ne pas simplement acheter plus grand, quand on a un enfant faisant de l'embonpoint?

«Des vêtements trop grands, trop amples et donc sans forme plombent la silhouette et produisent un "effet sac"», explique-t-elle. 

Une collection pour garçons sera bientôt offerte et il est possible de se faire expédier des achats au Canada.

Big Kidz Jeanz

Des jeans et des survêtements taillés sur mesure, livrés à votre porte. C'est ce qu'offre Big Kids Jeanz, une entreprise fondée en 2013 par Steve Frazee, d'Albany, dans l'État de New York. «J'avais du mal à habiller mes fils, se souvient M. Frazee. Mon aîné est costaud, si bien que les jeans et les pantalons de sport qui lui faisaient à la taille étaient trop longs. Je devais les faire couper. Mon plus jeune a le problème opposé: il est grand et mince. Quand la taille lui convenait, les pantalons étaient trop courts.»

L'entrepreneur a lancé Big Kidz Jeanz, qui habille les garçons (et les hommes) dont le tour de taille va de 66 à 112 cm.

Pour plus de confort, un élastique est ajouté de chaque côté de la taille des jeans 100 % coton. «Nous avons livré plusieurs commandes partout au Canada», assure M. Frazee.

Husky Fashions

«Nous proposons de vraies "tailles husky", contrairement aux magasins habituels», dit Tammy Naples, fondatrice de Husky Fashions. Avis aux non-initiés: en anglais, le nom de cette race de chiens aux yeux pâles est donné aux garçons costauds. C'est pour mieux vêtir son fils Daniel Jacob que la dame a lancé cette boutique spécialisée, en 2003. Husky Fashions propose ainsi plusieurs modèles de jeans, des maillots de surf colorés, des bermudas, etc. «Nous offrons une coupe plus ample à la taille, aux hanches et aux cuisses», précise Mme Naples.

Husky Fashions n'expédie pas de marchandise au Canada, si bien qu'il faut faire affaire avec une entreprise de réexpédition si on souhaite y commander.

«Comme nous avons plusieurs demandes du Canada, on cherche à trouver une autre solution», indique Mme Naples.

Photo Big Kidz Jeanz

Alec, le fils aîné du fondateur de Big Kidz Jeanz, porte les jeans vendus par la boutique en ligne de son père.

Vêtir un enfant mince

Trouver des vêtements qui ne flottent pas autour des enfants minces est aussi un défi. Les meilleurs choix? Les marques européennes comme Zara et Orchestra, qui taillent près du corps, ou les modèles «étroits» vendus exclusivement en ligne par Gap, Old Navy et Children's Place. Témoignages de deux mères.

Fillette de 5 ans

«Ma fille de 5 ans est longue et mince», dit Isabelle Saint-Jacques.

«Bien souvent, les pantalons et jupes qui ont la bonne longueur ne tiennent pas à la taille.»

«Avant 5 ans, ce n'était pas si mal, car beaucoup de magasins offrent des jupes et pantalons avec attaches ajustables à l'intérieur [note : pour les plus petites tailles]», se souvient Mme Saint-Jacques.

Quelques expériences de magasinage ont, depuis, été des échecs. «On a essayé chez Joe Fresh, mais ma fille perdait ses pantalons, relate Mme Saint-Jacques. On a aussi essayé H & M, mais les pantalons qui font à la taille sont trop courts.» Solution: la fillette porte des leggings, ainsi que des pantalons et jupes en taille «étroite» vendus en ligne par Gap. «On est contents de ce qu'on y trouve», indique la mère.

Garçon de 6 ans

Mélanie Arlot a un fils de 6 ans et demi, grand et mince.

«Il rentre dans tout, mais à quoi il ressemble, c'est une autre histoire!»

«Depuis que Mexx a fermé, je me tourne vers les marques européennes (Orchestra, Zara, Petit Bateau) et vers Deux par deux, dit-elle. En solde ou en friperie, on peut les trouver à des prix plus abordables. Française d'origine, je fais aussi quelques achats quand je rentre en Europe.»

Mme Arlot doit coudre des pinces à la taille des pantalons de pyjama et de sport, ou y passer un second élastique plus serré. «Vient ensuite le problème des chandails, dit-elle. Je ne peux pas les prendre plus petits, car les manches ou le tronc seront trop courts. Mais dans la taille que porte mon fils, 8 ans, c'est souvent beaucoup trop large. Il ne semble toutefois pas dérangé par cela. Les maillots de bain ou pantalons de sport et pyjama l'énervent beaucoup plus, car ils tombent!»

«Conclusion: il est difficile d'habiller un enfant, point, observe Mme Arlot. Je pense que les designers n'ont pas tous des enfants pour tester leur marchandise.»

photo fournie par Zara

Chemise en popeline et volant, 25,90 $ et jean avec peinture et pièce, 35,90 $ chez Zara.

Éviter que l'enfant soit préoccupé par son poids

Presque la moitié - précisément 49 % - des enfants de 9 ans sont insatisfaits de leur corps, selon l'Enquête sociale et de santé auprès des enfants et adolescents québécois (ESSEAQ) de 1999. La Presse a joint Andrée-Anne Dufour Bouchard, chef de projets chez ÉquiLibre, afin de discuter de l'importance d'habiller tous les enfants. Pour ne pas aggraver cette troublante statistique...

Faut-il que les détaillants élargissent leur offre de tailles de vêtements pour enfants?

Oui. Tous les jeunes doivent être confortables dans leurs vêtements. Il doit y en avoir toute une gamme, pour habiller tous les corps, les enfants en surpoids comme les filiformes. L'idéal serait que ça soit offert partout, dans tous les magasins, sans que ça soit identifié comme tel.

Il faudrait donc enlever les termes «husky», «costaud», «plus» et «slim», qui peuvent être gênants, pour étiqueter ces vêtements?

C'est pratique de savoir que la taille plus est offerte dans un magasin, pour la repérer et aller acheter là. Au moins, ces tailles-là existent. Il y a un travail qui a été fait, on chemine. Je pense que la prochaine étape, pour l'industrie de la mode, c'est de mieux intégrer ces tailles.

Actuellement, l'enfant peut apprendre que tel magasin ou telle étiquette est pour les enfants en surpoids ou maigres, et développer une préoccupation à l'égard de son corps. La stigmatisation, les préjugés et l'intimidation en raison du poids, ça commence vraiment très tôt.

Des chercheurs ont montré à des enfants de 4 ans des représentations d'enfants handicapés, en surpoids et d'une autre nationalité. Les chercheurs ont ensuite demandé: «Avec qui voudrais-tu être ami?» L'enfant en surpoids était choisi en dernier.

Dès l'âge de 9 ans, 35 % des fillettes ont déjà tenté de perdre du poids, selon l'ESSEAQ. Les jeunes intègrent vite la norme de minceur, avec toutes les publicités qu'ils voient, les superhéros, les livres, etc.

Est-ce inquiétant si un enfant n'arrive pas à s'habiller?

Oui. L'enfant peut développer une préoccupation à l'égard de son poids, ce qu'on veut vraiment éviter. On peut penser que ça va le motiver à changer ses habitudes de vie et à se prendre en main, mais non. C'est bien documenté: plus on est insatisfait, plus on risque d'aller vers des moyens extrêmes en suivant des régimes, en sautant des repas, etc. Ces comportements ne favorisent pas une relation saine avec l'alimentation, l'activité physique et le corps. Ça fait qu'en général, on revient à ses anciennes habitudes.

Un enfant peut développer la crainte de se mettre en maillot de bain ou en short, de participer au cours d'éducation physique, alors qu'on sait que c'est bon pour lui et pour la gestion du poids.

Que peuvent faire les parents?

L'idée n'est pas de se dire: «Il faut laisser les enfants aller, abandonner la lutte contre l'obésité.» Mais l'obésité, c'est très complexe. La prise en charge d'un enfant obèse ne se fait pas sur le bord du comptoir, avec un petit régime. Il faut évaluer l'ensemble des habitudes familiales. S'il y a des changements à faire dans l'alimentation, il faut que ça soit fait par toute la famille, pour ne pas identifier l'enfant en surpoids comme étant différent. C'est important de consulter une équipe, dont un pédiatre qui va vraiment pouvoir guider les parents.

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Note: les propos de Mme Dufour Bouchard ont été édités.

Photo Marco Campanozzi, La Presse

Andrée-Anne Dufour Bouchard, nutritionniste et chef de projets chez ÉquiLibre, un organisme qui vient en aide aux personnes préoccupées par leur poids.