Des enfants qui brandissent des pancartes. Des parents et des enseignants qui descendent dans les rues. Et tout ce beau monde qui forme des chaînes humaines pour dénoncer les coupes en éducation. Retour sur le mouvement citoyen Je protège mon école publique, qui a forcé le gouvernement à faire du système scolaire sa priorité.

Dur réveil

CRÉDIT PHOTO NEIL MOTA

Pascale Grignon

« Et nous qui pensions que tout allait bien dans nos écoles ! » Pascale Grignon se souvient comme si c'était hier de l'indignation qu'elle a ressentie en prenant connaissance de la réalité. Classes surpeuplées, coupes drastiques dans les services aux élèves, vétusté des bâtiments, pénurie d'enseignants... Comment diable en était-on arrivé là ?

« Les parents vont conduire leurs jeunes à l'école le matin et les reprennent le soir. Il est bien difficile pour eux de savoir comment ça se passe au quotidien, à l'intérieur des murs », observe cette mère de deux enfants et membre du conseil d'établissement (CÉ) de l'école Saint-Jean-de-Brébeuf, dans le quartier Rosemont.

En cette année scolaire 2015, l'austérité libérale bat son plein : 350 millions de dollars ont été retranchés du financement du système d'éducation primaire et secondaire. Le déficit d'entretien des bâtiments se chiffre à 3,5 milliards à l'échelle du Québec - seulement à la Commission scolaire de Montréal, neuf écoles sur dix ont obtenu la pire note.

La résistance s'organise

« Il fallait faire quelque chose. Mais quoi ? Avec des membres du conseil d'établissement (CÉ) et de l'organisation de participation des parents (OPP) de l'école, on s'est retrouvés autour d'une bière à se demander comment rallier les parents à la cause, évoque Pascale. Comme citoyen, on tient pour acquis que l'éducation, c'est l'avenir de la société. Or, le gouvernement, qui avait déjà coupé un milliard en six ans, annonçait de nouvelles compressions pour 2015-2016. On coupait dans la chair ! »

Le matin leur paraît le meilleur moment de la journée pour manifester : les parents n'auront qu'à se lever une demi-heure plus tôt pour aller former une chaîne humaine devant l'école avec leurs enfants, en signe de protestation et de solidarité. « Pour nous, il était clair que les jeunes devaient participer puisqu'on voulait leur donner une voix », précise Pascale.

Les chaînes s'enchaînent

À l'initiative, donc, des parents du CÉ et de l'OPP de l'école Saint-Jean-de-Brébeuf, le mouvement citoyen Je protège mon école publique (JPMEP) voit le jour et se prend à rêver : et si la mobilisation se déployait à l'échelle de la province ? Des courriels sont envoyés aux présidents du CÉ de toutes les écoles de la CSDM, ainsi qu'à la Fédération des comités de parents du Québec, pour les informer des conséquences désastreuses des coupes sur les services aux élèves et de la nécessité de réinvestir massivement en éducation. Le rendez-vous pour la première chaîne humaine est lancé.

Le 1er mai 2015, parents, grands-parents et élèves de 26 écoles de la région de Montréal répondent à l'appel. Le 1er juin, 8 000 participants de 100 écoles dans huit régions du Québec se tiennent la main. Le 1er septembre, les chaînes explosent : 21 000 participants de 270 écoles dans 16 régions du Québec manifestent. Le 1er octobre, c'est 35 000 participants devant 375 écoles... En tout, une école sur quatre au Québec sera « protégée » pendant toute l'année 2015-2016.

Pouvoir d'action

« Les enfants accrochaient des dessins aux clôtures, sur lesquels était écrit : "Ne coupez pas dans mon avenir". C'était vraiment beau, relate Pascale avec émotion. On leur a démontré qu'il est possible de passer aux actes dans le respect, de façon pacifique et démocratique. Quant aux parents, le mouvement leur a permis de se mobiliser de façon simple et de voir grand », poursuit la porte-parole de JPMEP.

Les chaînes ont porté fruit : en 2016, tous les partis de l'opposition faisaient de l'éducation leur priorité et le gouvernement libéral faisait marche arrière et réinvestissait dans l'éducation. Aujourd'hui, les coupes sont terminées, mais la pénurie d'enseignants et de suppléants sévit de plus belle. « Le système d'éducation a tellement manqué d'amour qu'il faudrait des sommes colossales pour le redresser, insiste Pascale. Nous, on agit en chien de garde pour s'assurer que ce qui est annoncé se réalise. Le gouvernement caquiste a juré de faire de l'éducation sa priorité. Nous avons une rencontre avec le ministre Roberge prévue au printemps. On verra bien avec le prochain budget. C'est tout l'avenir de notre société qui est en jeu. »

Apprenez-en plus sur le mouvement JPMEP

Certains membres du comité organisateur du mouvement Je protège mon école publique. De gauche à droite, 1re rangée : Marie Charest, Yann Omer-Kassin, Patricia Clermont. 2e rangée : Natalie Poirier, Lyne Duhaime, Pascal Desjardins, Yannick Sandler, Pascale Grignon, Marc-Étienne Deslauriers, Élisabeth Pelletier, Guillaume Boudreau, Pascale Corriveau.