Une chanson n'est jamais qu'une chanson. Lorsque des artistes plus grands que nature signent une oeuvre qui résonne auprès de multiples générations, il y a forcément une histoire derrière. Qu'elle ait contribué à la création d'un riff de guitare accrocheur ou d'un refrain que tout le monde connaît par coeur, l'inspiration naît d'un moment figé dans le temps : une image, un heureux hasard ou même un ennui technique, sans lesquels ces grands classiques n'auraient jamais vu le jour.

Smells Like Teen Spirit - Nirvana

Août 1990. Un motel d'Olympia, dans l'État de Washington. Ivres d'une soirée bien arrosée, Kurt Cobain et Kathleen Hanna (chanteuse du groupe Bikini Kill) titubent jusqu'à leur chambre. Alors que Kurt s'effondre sur son lit, Kathleen empoigne un crayon-feutre et barbouille sur le mur « Kurt Smells Like Teen Spirit ». Au matin, Kurt Cobain y voit un slogan révolutionnaire, qui deviendra un hymne du punk rock et de l'anarchie.

Plusieurs mois après la sortie du single, Kurt Cobain apprend que Teen Spirit est une marque de déodorant. Kathleen se moquait de lui : la batteuse du groupe Bikini Kill porte ce même déodorant, et la chanteuse insinuait que Kurt était resté imprégné de son odeur à la suite d'une amourette.

I Walk the Line - Johnny Cash

Avril 1956. Sun Studio à Memphis, au Tennessee. L'« homme en noir » enregistre ce qui deviendra l'un de ses plus grands succès. Chaque couplet est précédé d'un fredonnement accrocheur qui n'est pas là par hasard, ni strictement comme ornement : il remplit d'abord un rôle utilitaire. En effet, comme la chanson change de tonalité à cinq reprises, Johnny Cash entame chaque couplet en fredonnant pour trouver la bonne note.

Like a Rolling Stone - Bob Dylan

Printemps 1965. Lieu incertain. Frustré des attentes du public à son égard, sentant sa carrière déraper, Bob Dylan envisage d'abandonner la musique. Il s'installe pour écrire. Il canalise sa haine, son angoisse, son incompréhension sur papier. Sa plume vomit les mots d'un poème disjoncté qui s'éternise sur une dizaine de pages. Le nectar de ce texte deviendra Like a Rolling Stone, oeuvre par laquelle Bob Dylan retrouve l'amour de la musique et cimente sa légende.

(I Can't Get No) Satisfaction - The Rolling Stones

Printemps 1965. Appartement de Keith Richards à Londres. Se réveillant après une soirée difficile, le guitariste qu'on surnomme la « machine à riffs » découvre un enregistreur cassette près de lui. Il rembobine et écoute. Il y entend deux minutes de guitare acoustique - au rythme terriblement accrocheur - suivis du fracas d'un instrument qu'on échappe et de quarante minutes de ronflements. Keith Richards est convaincu d'avoir composé (I Can't Get No) Satisfaction pendant son sommeil.

"Heroes" - David Bowie

Juillet 1977. Hansa Studio à Berlin. David Bowie regarde par la fenêtre et aperçoit un couple qui s'embrasse tendrement devant le mur de Berlin. Ce tableau d'amour authentique se dessinant sur un arrière-plan de conflit lui inspire "Heroes", l'histoire de deux amants, l'un de l'Est et l'autre de l'Ouest. Longtemps évasif sur le sujet, ce n'est que 26 ans plus tard que David Bowie dévoile leur identité : sa choriste Antonia Maass et son producteur Tony Visconti, qui était à l'époque marié à une autre femme.

Hotel California - The Eagles

1976. La voiture de The Eagles file pour la première fois vers Los Angeles. Le groupe a déjà en main une piste instrumentale : une composition aux influences flamencos et latines, jetant les bases d'une épopée à écrire. Un peu après avoir quitté le désert du Nevada, Don Felder et Don Henley voient apparaître leur muse. Les lumières de L.A. en pleine nuit. Une lueur à l'horizon. Symbole emblématique de la cité des anges, l'hôtel Beverly Hills devient Hotel California, lieu de rêves et d'aspirations.

Stairway to Heaven - Led Zeppelin

1970. Le manoir Headley Grange, en Angleterre. Les membres du groupe se réchauffent devant le foyer de l'immense salon de ce bâtiment de pierre à l'abandon et au chauffage défectueux. Le guitariste Jimmy Page joue son épique rock, enchaînant des bribes de partitions, alternant entre l'acoustique et l'électrique. Le jeune chanteur Robert Plant s'empare d'un crayon, s'assied dans un coin et se met à écrire. Et écrire. Et écrire. Puis, il se lève d'un bond et chante. 80 % de l'oeuvre colossale Stairway to Heaven est déjà achevée.