Notre journaliste a tenté de retourner le service de Gabriel Diallo, 136e raquette au monde et vedette montante du tennis québécois qui défendra le titre du Canada à la Coupe Davis dans deux semaines.

L’été dernier, un sondage mené par une agence américaine a suscité un débat d’envergure dans les différentes sphères du tennis : 71 % des 2400 joueurs de tennis récréatifs sondés ont affirmé pouvoir enlever au moins un jeu à un professionnel dans un duel deux de trois.

La Presse s’est donc rendue au stade IGA, jeudi, pour aller tenter l’expérience. Gabriel Diallo, 22 ans et 136e joueur mondial, nous attendait avec son entraîneur Martin Laurendeau.

L’objectif : tenter de gagner un jeu.

Au bout d’un entraînement de deux heures, le moment de vérité était enfin arrivé. Diallo, déjà l’un des meilleurs serveurs au monde, s’est justement présenté au service.

À noter que votre représentant de La Presse a joué au tennis de manière compétitive à l’enfance et à l’adolescence. Il joue désormais de manière récréative environ deux fois par semaine pendant la période estivale.

« Donne tout ce que tu as. On veut une expérience optimale !

— Tu es certain ? Parce que ça va rentrer », nous avertit le gaillard de 2,07 m (6 pi 8 po) dans ses vêtements commandités.

Babolat à la main, le but pour ce premier point est simplement de toucher à la balle.

Diallo s’installe. Fait six bonds avant de servir. Il s’élance. Son projectile part comme une balle de fusil. Un boulet à plus de 200 km/h sur le coup droit. La raquette est positionnée du bon côté, mais incapable d’arriver à temps pour placer le centre de la raquette au bon endroit. La balle touche le dessus du cadre et s’envole dans les hauteurs du stade IGA. La première constatation, évidemment, est la puissance, mais surtout combinée au son de l’impact. C’est comme si la balle voyageait aussi rapidement que le son. Le bruit de l’impact du cordage sur la balle est arrivé au moment même où je devais m’élancer. Et comme la balle est compressée dans les airs et qu’elle apparaît aussi petite qu’un moustique, les chances d’arriver à temps à l’impact sont minces, voire inexistantes. C’est d’ailleurs Diallo lui-même, à l’autre bout du terrain, qui a vu la balle tomber à l’extérieur du carré du service.

Deuxième balle. Les quelques pas de recul effectués par prudence pour voir la balle venir n’auront servi à rien.

Alors que j’étais prêt mentalement à manquer la balle en mouvement, Diallo a servi une deuxième balle à effet imprévisible et illisible. La balle était lourde, profonde et en décélérant à l’impact, elle est montée extrêmement rapidement. Je l’attendais aux hanches, je l’ai reçue aux épaules. J’ai tout de même cogné la balle, mais mal placé et pris au dépourvu. Elle est tombée en croisé, à l’extérieur.

15-0.

Du côté avantage, Diallo a visé le revers, évidemment. Et il a sorti de sa raquette une balle à effet que j’aurais dû être en mesure de retourner, parce qu’elle était moins fusante que ces deux précédentes. Or, l’effet était monstrueux. Le bond, ou le kick, de la balle m’a mystifié. Le côté choisi était le bon. Mais la balle a semblé s’écraser lors de son arrivée au sol. Je me suis donc préparé instinctivement à un retour en revers coupé, mais la balle a fait un bond de géant par-dessus ma tête à 1,90 m du sol. À une main, avec une prise en slice, impossible de retourner la balle de manière décente.

La balle bouge comme une balle papillon. Et il est complètement farfelu de penser qu’il est humainement possible de se placer convenablement pour frapper un retour adéquat.

« Et c’était comme une deuxième ! », ajoute Diallo pour ajouter l’insulte à l’injure.

30-0.

Troisième service, troisième cible différente pour le Montréalais. Sur celle-ci, il devait s’imaginer à Flushing Meadows, en finale des Internationaux des États-Unis contre Carlos Alcaraz.

J’ai su que la balle était passée seulement lorsqu’elle a frappé brutalement les coussins derrière. Le son est terrifiant. Un missile comme je n’en avais jamais vu de si près. Je n’ai même pas eu le temps de penser, de réfléchir ou de me lancer d’un côté. J’ai figé.

40-0.

Acculé au pied du mur, c’était le moment de lui enlever un point…

Une lourde deuxième, du côté coup droit. Une balle fuyante, sans trop d’effet, prise au niveau du torse.

Contre toutes mes espérances, le calcul de la trajectoire était le bon. Le coup droit était franc, le contact était violent, l’antivibrateur s’est rompu, mais au moins la balle a traversé le filet… et la ligne de fond.

Jeu : Diallo.

« Woah ! », a-t-il lâché lorsque la balle lui est revenue dans les pieds. Mais trop peu, trop tard.

Le professionnel venait de battre l’amateur à plate couture en 71 secondes.

  • Nicholas Richard et Gabriel Diallo tout juste avant l’affrontement entre le joueur récréatif et le joueur professionnel

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Nicholas Richard et Gabriel Diallo tout juste avant l’affrontement entre le joueur récréatif et le joueur professionnel

  • Gabriel Diallo, 22 ans et 136e joueur mondial

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    Gabriel Diallo, 22 ans et 136e joueur mondial

  • Joueur récréatif, Nicholas Richard a joué au tennis de manière compétitive à l’enfance et à l’adolescence

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    Joueur récréatif, Nicholas Richard a joué au tennis de manière compétitive à l’enfance et à l’adolescence

  • L’entraîneur Martin Laurendeau était au stade IGA pour assister au duel.

    PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

    L’entraîneur Martin Laurendeau était au stade IGA pour assister au duel.

  • Après les services, Gabriel Diallo s’est permis quelques coups droits en situation d’attaque, question de clore le point avec un coup gagnant.

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    Après les services, Gabriel Diallo s’est permis quelques coups droits en situation d’attaque, question de clore le point avec un coup gagnant.

  • Pas facile pour Nicholas Richard de retourner la balle de service de Gabriel Diallo.

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    Pas facile pour Nicholas Richard de retourner la balle de service de Gabriel Diallo.

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Les constatations

« C’est comme au baseball, explique Diallo de retour au banc. Les bons serveurs sont bons pour travailler partout dans la boîte. Et ils jouent avec le rythme. C’est comme les lanceurs. Ils font des balles rapides, des changements de vitesse, des courbes, des glissantes. On mélange les effets, on mélange la vitesse. Et le retourneur, c’est comme le frappeur qui essaye de deviner les tendances du serveur. »

Et le dernier verbe employé est juste. Deviner.

Après les services, Diallo s’est permis quelques coups droits en situation d’attaque. Le but était de clore le point avec un coup gagnant. Laurendeau mettait la balle en milieu de terrain, Diallo la frappait et je devais uniquement la lui retourner.

Mais ce n’est pas dans cette vie-ci que ça risque d’arriver. Cette facette du jeu est encore plus difficile à gérer, car la balle arrive de plus près, et la position de Diallo est exactement la même sur chaque coup droit.

Il faut donc deviner la trajectoire de la balle. Et prendre un risque, comme un gardien au soccer sur penalty.

Chaque frappe est brutale, et la balle devient invisible. Impossible de la frapper. C’est comme chasser un papillon avec un panier sans filet. On ne peut se fier qu’à son regard au moment de l’impact pour déceler où il vise. Et le temps d’assimiler l’information, Diallo est déjà en train de retourner à sa ligne de fond, et la balle en est à son troisième bond derrière, près du mur.

La prétention

Et donc, 71 % des joueurs amateurs américains croient pouvoir prendre un jeu à un professionnel.

À la simple évocation de cette donnée, Diallo rigole, une fois assis dans la cafétéria du stade IGA, une dizaine de minutes après son éclatante victoire.

C’est quand même assez irréel. Peu importe le classement. Que le joueur soit pro ou même universitaire. Il faut que les gens se réveillent. C’est sûr qu’il y a des amateurs qui ont fait du sport, qui sont athlétiques, mais le tennis, c’est différent. Tu ne peux pas juste te fier à ton athlétisme. Il y a beaucoup de coordination. C’est de bouger et frapper une balle en même temps.

Gabiel Diallo, 136e joueur mondial

Et si, au golf, la majorité des experts conseillent aux amateurs de répéter leur jeu court pour améliorer leur rendement, Laurendeau préfère prodiguer aux joueurs de tennis du dimanche un conseil encore plus simple : « Il ne faut pas tomber dans le piège d’essayer de recréer ce que les pros font. »

Pour s’améliorer, l’amateur moyen doit « juste passer la balle par-dessus le filet et la mettre dans le terrain, mais selon ses capacités. Il faut jouir du sport, juste pour jouir du sport comme il est. »

Comme il ajoute en concluant : « Ce qu’on voit à la télé, il y a très peu de personnes sur la planète qui peuvent faire ça. »

Et il est difficile d’être en désaccord après une telle expérience.